• Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    UNE MACHINE FRANÇAISE qui a laissé une trace à l'étranger, c'est déjà inattendu. Encore plus s'il s'agit d'une moto des débuts du siècle (l'autre) dont on avait jusqu'ici mis en doute la commercialisation et jusqu'à l'existence même. Soudain (ou presque) voilà t'y pas qu'on découvre une preuve irréfutables de cette existence : irréfutable puisqu'on peut désormais en contempler une photo et une photo D'ÉPOQUE.

    D'excellente qualité, elle est aussi exceptionnelle car elle a fait un long trajet de 20 000 kilomètres, avant d'arriver jusqu'à nous depuis la Nouvelle-Zélande ! (ci-dessus). Elle aurait pu rester bien au chaud dans une boîte sur les rayons de la bibliothèque de Wellington où elle dormait si Leon Mitchell ne l'y avait débusquée pour en faire un sujet d'article dans sa revue en ligne "Serpolette's Tricycle" . Sous-titré "The early motor in Australasia", L. Mitchell traite dans cet electronic-zine de la motorisation des premiers âges en Australie et Nouvelle-Zélande, illustrés de documents rares. La plupart sont sur l'automobile, mais quelques motos les accompagnent, souvent des productions locales telle la Quirk de 1915, un flat-twin longitudinal entièrement "made in Australia". La vraie surprise, c'est d'y trouver un article sur la Bichone, un nom seulement connu d'une poignée de Français, d'autant qu'elle s'est parfois appelée Lepape, du nom de son créateur prénommé Hippolyte (1859-1920) de son prénom.

    LE DEUX-TEMPS : BREF HISTORIQUE DE POCHE

    Petit résumé à l’intention de ceux qui auraient raté le début du film. En 1912, les vénérables éditeurs parisiens du Quai des Grands Augustins, H. Dunod & E. Pinat, publient « Les Moteurs à Deux Temps », l’un des premiers ouvrages, sinon le premier, sur le sujet. Pas moins de 48 moteurs avec schéma y sont décrits par Léon Ventou-Duclaux, ingénieur ESPCI attaché au Laboratoire d’essais de l’A.C.F. (ESPCI = Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris, devenue désormais PSL = Paris Sciences et Lettres). Étudiant les brevets du cylindre à trous déposés en France, L. Ventou-Duclaux passe en revue, plus ou moins longuement, la production la plus marquante jusqu’en 1912. Le Laviator de Gnome-Rhône y côtoie un Peugeot-Tony-Huber, Clément voisine avec Violet et Anzani n’est pas oublié dans le chapitre des « Distribution par soupapes » -  attention, soupapes avec un « s » puisqu’il on est en présence d’une soupape commandée et d’une soupape automatique, soit… quatre soupapes en tout car il s’agit d’un moteur flat-twin (Boxer, disent-ils aujourd’hui…). Dans ce florilège, la France est en bonne place avec 11 brevets sur les 17 enregistrés avant 1900, le premier étant celui de la Compagnie Française des moteurs à gaz et des constructions mécaniques (n° 223 505 du 6 août 1892).

     Y' EN A UN PEU PLUS... JE VOUS LE LAISSE ?

    Le livre est complété par la liste des 247 brevets déposés jusqu’en janvier 1912, liste qui se veut exhaustive (?) mais à manier avec précaution. Elle confirme néanmoins une réalité trop souvent négligée des historiens en culottes courtes : brevet ne signifie pas forcément réalisation et… réciproquement. Il en est ainsi du moteur Söhnlein « à compression dans le carter », réputé être le premier de son espèce (1895), mais qu’une phrase définitive de Ventou-Duclaux « ce moteur n’a pas été réalisé », renvoit à sa seule existence de papier. Celui de la Compagnie Française des moteurs à gaz, cité plus haut est à classer dans le même obscur purgatoire comme la majorité des 247 brevets de la liste dont certains brillent par leur libellé enigmatique tel : « Formation d’un mélange explosif dont le degré de compression préalable et par suite la pression d’explosion sont toujours les mêmes pour toutes les introductions, qu’elles soient grandes ou petites » (Lunet & Lemetais, du 30 novembre 1903).

    Alors que certains « inventeurs » vendent d’abord la peau de l’ours, d’autres le mettent sur pieds avant d’en publier le brevet. Le 30 mai 1908, un certain H. Lepape fait protéger un moteur qui présente toutes les caractéristiques très proches de celles de la "néo-zélandaise", brevet où il est dit que « le mélange est comprimé dans un réservoir distinct du cylindre et est admis à la partie supérieure de ce dernier, l’échappement a lieu à fond de course ». Or, ce moteur a été construit et commercialisé au moins cinq ans auparavant et il existe aujourd’hui sur deux machines pour en attester !

    Dès 1903, dans la revue La Locomotion était décrit en début d'année le moteur de M. Lepape "exposé au dernier Salon de l'automobile" précisait l'article (Le Salon se tenait alors en décembre). Lequel article était illustré du dessin ci-dessous extrait du brevet.

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Lors du Salon de Paris, la revue La Nature en avait publié cette illustration réaliste (ci-dessous) assez fidèle et où l'on remarque quelques différences avec les dispositions... 

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    ... originales présentées sur le brevet. Pour des impératifs d'encombrement, le carburateur et sa pipe sont replacés dans l'espace défini par les deux "cylindres" tandis que la bougie a trouvé sa place sur le cylindre "moteur". La soupape automatique, dont ce dernier est muni, est commandée par un petit basculeur commandé à la main et servant de décompresseur. Surplombant le tube d'échappement vers l'arrière, un solide tirant solidarise le cylindre avec le tube de selle du cadre.

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Sur le brevet américain figure une illustration d'une machine complète équipée du Bichrone avec ses colliers de fixation au cadre. M. Lepape proposait donc son moteur adaptable sur toute bicyclette, quelle qu'en soit la marque, selon l'usage de l'époque, ce que confirme ...

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    ... cette coupure de presse d'une revue australienne datée de 1903 (source web "évaporée", sorry !) où il est fait par ailleurs état de "l'excellent style" avec lequel la Bichrone a escaladé à plusieurs reprises les 300 yards (275 mètres) de la côte de Highgate Hill à Brisbane. 

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Highgate Hill en 2016

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Le Bichrone suscita bien plus d'intérêt dans le monde anglo-saxon que dans son pays d'origine (ci-dessus une annonce anglaise de 1903). En France, sauf erreur, on ne trouve aucune publicité autour de l'invention de H. Lepape en dehors des présentations de son brevet dans quelques revues spécialisées qui ne donneront pas suite. La personnalité de l'inventeur lui-même ne le portait peut-être pas à l'exploitation commerciale de ses idées dans les domaines les plus variés.

    On lui prête une collaboration dans la construction des ascenseurs de la Tour Eiffel (1889), il aurait également conçu un trois cylindres en étoile présenté lors de l'un des premiers Salons de Paris. Il est aussi l'auteur de nombreux articles dans la presse automobile tout en multipliant les brevets d'amélioration du moteur deux-temps. Il existe aussi une automobile Lepape 4 cylindres qui a survécu. Il prétendit, dans un premier article de la revue Le  Chauffeur (1901) que son moteur pouvait se passer de toute forme de refroidissement. D'après lui, la masse volumineuse de son bloc-cylindre était suffisante pour évacuer la chaleur produite. Par la suite, une chemise d'eau sera ajoutée... Cette voiture comportait également une transmission par plateaux de friction (ci-dessous).

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Bichrone : le deux-temps à soupapes de M. Lepape

    Deux documents sur la voiture d'Hippolyte Lepape (extraits de Prewarcar.com, un site international consacré à l'histoire des véhicules motorisés d'avant 1940 ainsi qu'à leur vente).

    PROCHAIN ARTICLE : les Bichrone survivantes

     

     


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  • Commentaires

    1
    D4
    Mardi 30 Août 2016 à 11:31

    Salut Jean

    Encore un de tes superbes articles comme tu sais bien les faire. Je remarque une erreur de date quand tu dis "Le Laviator gnome & Rhône parmi les moteurs remarquables d'avant 1912". La société des moteurs Gnome & Rhône en tant que tel, date de nombreuses tractations entre 1914 et 1915. Le Rhône date du 6 juin 1905 et Gnôme du 6 septembre 1912. 

    Amicalement

    Daniel

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    2
    jackymoto
    Mardi 30 Août 2016 à 12:24

    Je serais assez curieux d'entendre le son de la bête. Il devait tout de même y avoir de la déperdition dans les tuyaux .

    Dans le même genre, sais tu s'il existe une survivante équipée d'un moteur Ixion à distributeur rotatif? Sur le papier, c'était bien foutu, et l'usine qui devait faire la grandeur de mon pavillon était dessinée sur les prospectus aussi grande que Peugeot .

    Quant au moteur sans refroidissement, c'est un peu comme le moteur céramique n'ayant pas besoin de lubrifiant, comme  Nessie le monstre du Loch Ness je pense que nous ne les verrons pas de si tôt.

    3
    Unsteady Eddie
    Mardi 30 Août 2016 à 13:07

    Un moteur fascinant qui semble avoir tous les problèmes de lubrification associés à deux coups triés, en utilisant un cylindre séparé au lieu du carter pour comprimer la charge entrante. Il est une idée qui a été utilisé à plusieurs reprises depuis; par exemple par DKW dans leurs motos de course réussies. De plus, le principe a été utilisé dans de nombreux moteurs diesel à deux temps.

    4
    Tom
    Mardi 30 Août 2016 à 13:07

    cette année en République tchèque

    5
    FAJ
    Mardi 30 Août 2016 à 14:45

    Les moteurs 2 temps Motobecane type Z comportent aussi un piston disposé à l'opposé du piston moteur. Il accroît le volume des gaz frais aspirés dans le carter pompe et exerce ainsi une sorte de suralimentation. Le transfert dans le cylindre moteur se fait  par les lumières habituelles. Et donc s'affranchit des soupapes du moteur Lepape.

    6
    jackymoto
    Mardi 30 Août 2016 à 14:53

    J'oubliais, j'aime beaucoup les commentaires d"Unsteady Eddie" qui a travaillé sur tous les deux temps imaginables  (y compris des mauvais!) .

    Oui, les tracteurs Hanomag étaient équipés de pompes de balayage (à lobes si mes souvenirs sont bons) et de pistons en fonte. Mon ami Albert avait vendu quelques pétarous Motobécane à piston pompe et les avait classé dans la catégorie des veaux...

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