• Je suis Charlie depuis tout petit...

    ... précision : lorsque Charlie, lui, était tout petit. Ce qui remonte aux années 60. D'ailleurs, il ne s'appelait pas Charlie mais Hara Kiri et il était vraiment petit, car conçu pour tenir dans la poche. Je ne sais plus si je l'ai eu dans ma poche, mais je l'ai eu dans lesJe suis Charlie depuis tout petit... mains. De même que le numéro suivant, format identique mais couverture bleue si je me souviens bien. Je n'ai pas grand mérite car, comme beaucoup de jeunes à l'époque (j'en fus) j'avais été victime des méthodes de vente des vendeurs à la sauvette de ces petites publications vite-fait-bien-fait-sur-un-coin-de-gaz.

    Ils sévissaient sur les Grands Boulevards et surtout au Quartier Latin, attraction de la jeunesse comme le sont aujourd'hui les Halles. Un Quartier Latin pas encore vérolé par les marchands de fringues (oui, ça a existé). C'était celui des cinémas-art-et-essai où l'on espérait s'instruire en allant voir "Un été avec Monika", tragique chef d'œuvre d'Ingmar Bergman dont un critique de cinéma (Le Figaro ? L'Aurore ?) avait écrit qu'il était "pornographique". Il est vrai que ce film venait de Suède et était interdit aux moins de 16 ans, soit pour des jeunes gens la meilleure des publicités. Ce Quartier Latin, c'était aussi celui des librairies Gibert, des gargotes à frites "nature" ou bien - luxe ! - la "strasbourg-frites" à l'huile de cachalot dont le fumet imprégnant les vêtements vous faisait ensuite repérer partout où vous passiez. Le cri de guerre de ces vendeurs (il est question de Hara-Kiri, au cas où vous seriez égaré), ce cri de guerre c'était :

    "Vous n'avez rien contre les jeunes ? Alors achetez-moi ça !"

    Pour moi en un certain jour, le "ça" fut donc Hara-Kiri. Mais rien à voir avec les numéros qui allaient suivre et que tout le monde connaît... Aujourd'hui surtout ! J'ai suivi Hara-Kiri et les divers titres qu'il a engendrés. Pas toujours régulièrement, sauf Charlie Mensuel plein de BD et, bien sûr, Charlie Hebdo. On n'était pas si nombreux que ça. Bien moins que les millions de janvier 2015...

    Il faut seulement espérer que parmi ceux-là il en restera quelques uns qui auront compris que sous couvert d' humour - ce qui n'était pas toujours le cas - le dessin d'un Reiser, d'un Cabu, la photo détournée d'un Pr Choron, les rêveries dessinées de Gébé pouvaient vous rendre moins bête pour la journée. 

    UNE PARENTHÈSE HISTORIQUE  

    On a écrit que c'est l'américain "MAD" qui a inspiré H-K. À voir car, outre le fait que cette revue était pratiquement introuvable en France, disponible au compte-gouttes chez deux ou

    Je suis Charlie depuis tout petit...

    L'une des premières planches de Wolinski nettement marquée par l'influence de Will Elder

    trois libraires éclairés (ex : Le Minotaure, à Paris et peut-être Brentano's), elle était réalisée par des dessinateurs "professionnels", ce que n'étaient pas du tout ceux de H-K. Créateur de MAD en 1952, Harvey Kurtzman (initiales prédestinées ?...) avait déjà un sérieux passé dans les "comics", de même que Wallace "Wally" Wood ou Will Elder, autres "pointures" du magazineJe suis Charlie depuis tout petit... (dessin ci-contre de W. Elder). Enfin leur style, qui peut se qualifier de "classique", acquis dans les grandes écoles de Cartoonists, n'avait rien à voir avec celui des fous furieux qui allaient alimenter les pages de Hara-Kiri, tous jeunes, débutants, autodidactes. S'adressant aux étudiants des campus universitaires, MAD publiait des parodies de bandes dessinées célèbres (Walt Disney, Mandrake, Dick Tracy), d'émissions de télé populaires, de séries, d'annonces commerciales ou de films à succès. Le but était de faire rire d'abord, par la dérision. Pas question de s'attaquer au "politiquement correct" dont on ne savait d'ailleurs pas ce que c'était... (Ça leur viendra beaucoup plus tard). Pas question non plus de montrer dans MAD des seins ou des fesses (de femmes), encore moins le "full frontal nudity" qui deviendra quasiment la signature d'un Georges Wolinski.

    Les États-Unis devront attendre pour ça la révolution underground, des années plus tard. Les innombrables comics que la presse "alternative" engendrera, révéleront plus largement les Crumb avec ses Zap Comix, Spain Rodriguez Je suis Charlie depuis tout petit...(couverture de la revue Screw au nom très explicite, à gauche), l'hallucinant S. Clay Wilson et ses démoniaques Hell's Angels ou Gilbert Shelton qui traversera l'Atlantique avec ses Fabulous Freak Brothers. Plus tardivement, on verra la Little Annie Fanny de Will Elder dans Playboy , parodie érotico-comique des aventures de la pauvre orpheline Little Orphan Annie. Hugh Hefner, le directeur, exigeait que dans chaque chapitre de Little Annie celle-ci apparaisse nue, au moins une fois ! (extrait ci-contre). Une soi-disant révolution sexuelle était passée par là.

    ET  LA MOTO DANS TOUT ÇÀ ?

    Pas plus aux États-Unis qu'en France la moto n'inspirera durablement les dessinateurs desJe suis Charlie depuis tout petit... revues satiririco/humoristiques. Dans les années grises 1960/70, la moto n'est pas devenue l'un de ces objets de consommation, cibles dignes d'exciter la critique acide des artistes du crayon ou de la plume. Fidèle à sa formule, MAD offre en 1954 un "Wild 1/2" parodiant "The Wild One" qui est le titre du film platement traduit chez nous par "L'Équipée sauvage" que vous savez (ci-contre la couverture du numéro 15 dans lequel était publiée "Wild 1/2" et, ci-dessous, les deux premières planches). Beaucoup plus tard, en 1970, la moto fera la "une" de MAD avec une parodie d'Easy Rider baptisée "Sleazy Rider" (sleazy =miteux). On reste dans le calembour, la grosse farce collégienne sinon universitaire. En France, l'influence des artistes de Hara-Kiri sur le dessin satirique est immense. Il y a un avant et un après H-K qui a rendu ringard les publications "destinées à la jeunesse", malgré les efforts d'un "Pilote" qui piquera même des dessinateurs à Charlie. Toute une génération dessinera (et écrira = le modèle est Cavanna) dans un "style" libéré des contraintes éditoriales et artistiques. Pilier de Charlie, Willem parlera à une époque (dans Libé ?) d'une sorte d'école qu'il baptisera les "paschiadins", ces nombreux dessinateurs qui ne "chiadent" pas leurs dessins. On est vraiment bien éloigné de MAD.

    Je suis Charlie depuis tout petit...

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  • Commentaires

    1
    Jacques
    Mercredi 28 Janvier 2015 à 13:42

    Il y a eu un bel électron libre dans la presse moto du début des 70's, j'ai nommé l'inénarrable revue Culbuteur avec les dessins de Pichard. C'est ce canard qui me fit découvrir un film un peu confidentiel et bien déjanté aussi, avec Piccoli et une furtive apparition de Coluche : Temroc. 

    Toute une époque.

    Merci pour cette évocation.

    2
    jackymoto
    Jeudi 29 Janvier 2015 à 00:04

    Les vendeurs de Charlie étaient "sélectionnés" par le Prof Choron, qui les réunissait dans un bistrot et commandait un grand verre de vin blanc pour tout le monde à 7h du matin. Ceusses qui refusaient de le boire étaient éliminés!

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