• L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

     L'encre de l'armistice signé le 22 juin 1940 est à peine sèche que les occupants allemands se mettent à "organiser" la France et ses industries. On crée donc des Comités d'Organisation (CO). Dès juillet les restrictions se font sentir dans tous les domaines de la Zone occupée. Le reste du pays, vite surnommé la Zone "nono" (non occupée), sera envahi le 11 novembre 1942, suite au débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Le 16 août naissent les CO de l'Automobile et du Cycle mis en place par un obéissant ministère de l'État L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)
    français (gouvernement de Vichy) qui complète la farce en précisant qu'il a agit "en accord avec les autorités d'occupation". Tout véhicule devra désormais avoir pour circuler un "S.P." délivré par le Préfecture de police. Bientôt ça ne sera pas suffisant et les Allemands prendront les choses en main. Il faudra présenter un Ausweis (pièce d'identité, laissez-passer) dûment visé par l'occupant. La circulation de véhicules qui ne bénéficient pas d'une dérogation est interdite à partir de 21 heures jusqu'à 6 heures du matin. Idem dimanches et jours fériés.

    LES AFFAIRES SONT LES AFFAIRES

    Échappent à ces restrictions les médecins, infirmières, sages-femmes, pompiers, certains journalistes, etc. Rationnée, l'essence nécessite des tickets qui permettent d'acheter le précieux carburant à 5 F 38 le litre. C'est le prix officiel, mais sur un marché noir qui n'a pas tardé à s'établir, elle atteint les 9 puis 12 F (la valeur de 3 kg de pain, 300 gr de viande ou 4 œufs !). L'occupant n'est pas le dernier à participer et à profiter de ce marché parallèle, amateur qu'il est de laL'Album de famille des Français 1940-1970 (3) lingerie française, bas de soie, parfums qui feront le bonheur de la "gretchen qu'il a abandonnée pour le "blitzkrieg". Il s'est dit qu'à Paris environ 800 Ausweis avaient ainsi été échangés contre des avantages en nature. Mais c'est un commerce sans commune mesure avec celui qui est pratiqué de façon "officielle", grâce au butin des pillages, expropriations, ou récupérations effectuées aux dépens des "ennemis de l'État", des Juifs ou des apatrides. Des collections d'objets d'art, de meubles, de tableaux de maîtres prendront ainsi par wagons entiers le chemin de l'Allemagne. Cette razzia s'effectue à des niveaux bien plus élevés et parfois avec l'accord implicite des "volés". De nombreux industriels français passent des accords avec les industriels allemands. Leurs usines accepteront de fournir des produits finis ou des matières premières. Voire du matériel de guerre, moteurs d'avions, munitions, pneumatiques, etc.

    L'EXEMPLE DE GNOME-RHONE

    Dans notre domaine, l'entreprise emblématique la plus connue est Gnome-Rhône. Dirigée par Paul-Louis Weiller, elle est "aryanisée" au moment des lois anti-juives promulguées par Vichy à l'automne 1940. Arrêté, P.- L. Weiller s'évadera pour rejoindre le Canada, via le Maroc. Chez Gnome, on fabriquera des moteurs d'avions Gnome et BMW alors que les sabotages commencent à se propager parmi les ouvriers, surtout à partir de juin 1941, date de la rupture du pacte germano-soviétique... Souvent remplacés par des femmes (Plus de 1 million de Français sont prisonniers de guerre), ils vont être incités à partir travailler en Allemagne. Ce sera d'abord à titre volontaire puis, par manque de candidats (240 000 seulement), ils seront soumis comme d'autres Français au S.T.O. (Service du travail obligatoire, institué par Vichy sous la pression allemande) à partir de février 1943. Avant de partir, P.-L. Weiller avait demandé à son successeur de maintenir une certaine production, ne serait-ce que pour que les ouvriers aient de quoi vivre et pour garder les machines en état. Selon le livre "Gnome & Rhône - L'histoire des motocyclettes" (1) il a été construit, outre des vedettes rapides et des hélices, 8 872 moteurs d'avions et 3 255 motocyclettes. Parmi ces dernières on trouve un millier de 100 cm3. C'est la cylindrée maximum autorisée par l'occupant qui a repris la législation française antérieure. Et c'est à partir de ce premier  "Type R1" que Gnome & Rhône va développer ensuite, après la Libération, son programme de 125, puis 175 et 200 cm3.

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

     Modèle extrêmement rare, car produit à peu d'exemplaires dans des conditions difficiles, la R1 (ci-dessus) perdra ensuite son cylindre en aluminium chemisé pour un cylindre fonte à un seul échappement. La partie-cycle en éléments d'acier embouti restait fidèle à la technique des grosses cylindrées d'avant guerre. L'acier embouti cèdera plus tard au tube.

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     Autre détail technique, le carburateur passera dans l'axe, derrière le cylindre. Le carter d'embrayage arrondi est caractéristique des Gnome-Rhône des séries successives (Ces deux photos proviennent du site de l'Amicale Gnome & Rhône).

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    Ceux (et celles ?) qui ont la chance de pouvoir rouler doivent masquer le phare de leur véhicule en ne laissant à la lumière qu'une ouverture de 1 cm d'épaisseur pour 10 cm de large. Ils doivent aussi trouver le carburant, même si l'appétit de certains est léger, ici un vélomoteur de la fin des années 30, le 100 Terrot deux-temps (qui nécessite aussi de l'huile, autre ingrédient rare...).   

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    Cette photo faisait partie d'une série où l'on voyait l'atelier présumé être celui d'un Chantier de Jeunesse dans le premier article de cette série. On va retrouver ci-dessous la même machine dans un autre décor, mais avec un personnage déjà vu dans le premier article. Elle a été immatriculée à Paris en mars 1940, quelque mois avant l'armistice et à un moment où la France croyait encore que l'Allemand allait être éparpillé par les canons de notre ligne Maginot. Penser à faire de la moto à ce moment-là témoignait d'une belle confiance dans la supériorité de notre armée. Il est vrai qu'elle était alors "la meilleure du monde"... 

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    Cette Dollar (R3 ?) est dans une version luxueuse par ses pièces abondamment chromées et un changement de vitesse par sélecteur au pied droit (sans doute un Vitex adaptable). En agrandissant la photo - on clique - on le voit mieux quoiqu'à demi caché par le mollet de la demoiselle. Enfin cette 350 culbutée arbore une suspension arrière coulissante apparue au Salon 1930. C'était une avancée exceptionnelle dans la production française de l'époque. Avec cette architecture d'un dessin très personnel sinon très efficace, Dollar prenait ainsi rang auprès des René-Gillet, Monet-Goyon, Koehler-Escoffier et de quelques marques plus épisodiques comme B.C.R., Clément-Berceuse et autres Verlor.

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

    Après Paris, la Dollar se retrouve dans la Creuse alors en zone non-occupée. L'indication des lieux est fournie par le camion immatriculé dans ce département, avec le nom du propriétaire et son domicile : " Chevalier (??)  Boussac - Creuse". On aura remarqué la touche élégante apportée par la queue de carpe qui prolonge les deux échappements.

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    Encore une photo d'époque qui pose un problème d'interprétation. Ce 100 René Gillet présente sur son phare l'occultation réglementaire (peinture) durant l'Occupation. Par contre, son réservoir brillamment chromé ainsi que ses silencieux ne sont pas en accord avec les restrictions instaurées sur les matières premières dans ces années. Explication possible : ce 100 que l'on pensait avoir été créé durant les années 1940-44 aurait déjà existé à la veille de la guerre. Autre sujet de complication : son absence de pédales indique qu'il est postérieur à juin 1943, lorsque le Secrétariat d'État aux communications avait annoncé par décret l'abandon de cet "accessoire". Il élevait également à 125 cm3 la cylindrée de la catégorie des "vélomoteurs"...

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

    ...mais René Gillet ne profitera pas de cette largesse. En 1944 il publie un prospectus daté du mois de janvier (extrait ci-dessus) présentant son Type V à 3 vitesses mais dont la cylindrée est restée à 100 cm3. À la peinture près, il est tout à fait semblable au modèle à réservoir chromé et présente lui aussi le réglementaire phare obturé. On était alors à 6 mois du Débarquement... 

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

     Les  trois vitesses sont commandées par un levier à main sur secteur situé à droite du réservoir. Comme plus tard sur certaines japonaises (Kawasaki H2), les vitesses sont "en ligne" : le point mort se situe après la première et non entre celle-ci et la seconde, comme il est d'usage. La plaque oblique que l'on aperçoit derrière le carter-moteur porte un petit index mobile qui indique quel est le rapport engagé. Le sélecteur au pied à double-branche sera adopté avec le modèle V 1 d'après-guerre.

    LE TRIOMPHE DES PETITS INVENTEURS

    De même que le Monsieur Jourdain de Molière faisait de la prose sans le savoir, les motocyclistes des années 39-45 vont se mettre à faire du "vintage" avant la lettre. Tout ce qui tenait sur deux roues avec un moteur fut, quel que soit son âge, ressorti des granges, des garages, voire des greniers et remis sur la route. Encore fallait-il trouver de quoi en remplir le réservoir. Rationnée à outrance, l'essence se négociait à prix d'or pour quiconque n'y avait pas droit pour son travail. Gourmand en tout, l'occupant allemand l'est particulièrement de ces produits qui font tourner ses avions, ses Panzers, ses camions, ses auto-mitrailleuses et ses motos. La menace alliée se précisant, et tandis que le front russe suscite des inquiétudes allemandes, tous les produits stratégiques sont accaparés au profit de la Wehrmacht. En 1942, l'allocation d'essence est donc supprimée à tout véhicule de moins de 1 tonne de charge utile. Pour les Français, il devenait chaque jour plus urgent de pousser le développement de formules de remplacement du carburant. La plus courante et la plus accessible sera le gazogène.

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    Dès octobre 1941, le numéro spécial "automobile" de la célèbre revue donnait sous le pinceau de Géo Ham une image de ce qui n'était déjà plus une anticipation. Quoique lourd et encombrant, le gazogène s'adapte relativement facilement sur un camion, un peu moins sur une voiture particulière. Sur la moto cela apparait impossible malgré l'image idyllique qu'en donne Géo Ham. En premier lieu, il faut connaître les rudiments du fonctionnement de cet appareil qui ne sert pas vraiment à griller des châtaignes...

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    LE GAZOGÈNE, COMMENT ÇA MARCHE. 1 - Entrée d'air et orifice par lequel on allume le foyer. 2 - Générateur chargé de charbon de bois qui, en se consumant lentement, fournit du gaz carbonique (Certains gazogènes fonctionnent au bois). 3 - Gaz chauds non épurés. 4 - Tube refroidisseur. 5 - Boîtier épurateur. 6 - Filtre en toile métallique et tissus. 7 -Trappe permettant de vider à intervalles réguliers l'eau de condensation ainsi que les résidus et goudrons. 8 - Conduite des gaz refroidis et épurés. 9 - Prise d'air additionnelle comportant une turbine de forge pour forcer l'air vers l'admission. 10 - Commande de l'accélérateur-mélangeur. 11 - Vers le moteur (Et maintenant, roulez jeunesse !).

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    Assez tôt, des fabricants ont proposé des gazogènes "prêts à poser" sur camions et voitures. On en a compté une bonne trentaine entre 1940 et 1944. Le motocycliste ne représentait sans doute pas une clientèle assez nombreuse car on ne connaît qu'un seul modèle destiné à une... 100 René Gillet !

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

    Habitué à la mécanique et ingénieux par nécessité, le motocycliste des années 30 devait souvent savoir se dépanner seul sur des machines plutôt simples C'est ainsi que du côté d'Issoire, M. Castiblanque s'attaqua en toute confiance à la construction d'un gazo pour sa Gnome & Rhône D3, une 500 latérales. Il était assez doué car sa machine traversa toute l'Occupation et fera beaucoup plus tard le bonheur d'un collectionneur qui l'acheta au fils de son créateur (ci-dessus). Aux dernières nouvelles, elle avait pris sa retraite dans la collection de l'Amicale Gnome & Rhône chez SAFRAN. 

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (3)

    À droite, le volumineux boîtier-épurateur marqué "Casti", c'est le 5/6 du dessin. Au dessous se trouve la petite turbine de forge qui force l'air vers le cylindre, via le carburateur mélangeur que l'on retrouve ci-dessous.

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    Une fois bien allumé, le gazogène fonctionnait en circuit fermé. Pour la nuit, il suffisait de ne laisser qu'une petite ouverture à l'entrée du foyer. Mais pour le démarrage "à froid", il fallait l'aider avec la méthode classique : essence + air, d'où la présence d'un carburateur dont on coupait ensuite l'alimentation. 

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    Chargé de charbon de bois, le générateur (2) qui transmet les gaz à l'épurateur par le gros tuyau arrondi à l'arrière, comporte à sa base une trappe ronde permettant l'allumage. C'est aussi par là qu'on retirait à intervalles réguliers les cendres et les scories produites par l'appareil. Cette opération était vitale pour ne pas étouffer la combustion. Au cas contraire, il fallait vider le générateur de tout le charbon de bois qu'il contenait et repartir de zéro.

    (1) "Gnome & Rhône - L'histoire des motocyclettes". par Daniel David, Alain Chapeau et Stéphane Clergerie. Amicale des motos Gnome & Rhône - 2001.

    À suivre : Les autres moyens de rouler à moto sans essence. 


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  • Commentaires

    1
    daniel
    Vendredi 26 Juin 2015 à 12:02

    bonjour à tous,


     


    pour l'explication du gazogène, en 2, on produit bien comme indiqué, du gaz carbonique et plein d'impuretés, mais aussi et surtout le tristement célèbre "monoxyde ce carbone". Ce gaz mortel, mais qui est aussi combustible, était par ailleurs un des constituants principaux de l'ancien gaz de ville, lui aussi combustible et mortel.

    2
    jackymoto
    Vendredi 26 Juin 2015 à 18:39

    A partir de 1939 des moteurs d'avions Gnome avaient été produits à l'arsenal de Limoges, dans une ambiance décrite comme infecte par les ouvriers. Dans la nuit du 8 au 9 juin 1944  l'usine sera détruite par les bombardements alliés. M. Lamargue un ancien mécanicien ayant beaucoup travaillé sur les gazogènes, nous disait qu' avec ces oignons, on perdait 50% de puissance dans le meilleur des cas!

     

    3
    gilles
    Vendredi 26 Juin 2015 à 21:33

    toujours aussi instructif, les informations et documents partagés par Mr BOURDACHE. Encore bravo!!!

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    4
    Vendredi 26 Juin 2015 à 21:44

    En effet comme le précise Daniel, beaucoup de CO bien toxique dans le gaz produit, un peu d'hydrogène aussi .


    Les normes antipollution n'étaient pas le premier de leurs soucis: respects pour nos grand-pères.

    5
    GIGI
    Mardi 7 Juillet 2015 à 08:49

    Je monterais bien un gazo sur la Velopette, moi, histoire de me mettre au niveau des BSA/Triumph....

    6
    sebastien
    Mercredi 9 Septembre 2015 à 18:00

    bonjour


    je suis en train de restaurer une moto dollar de type s3 avec suspension arrière


    je viens de voir sur ce site des images de motos dollar avec se système de suspension plus un shéma détaillé des pièces composant ces suspensions amortisseurs .pourriez vous me procurer ou m envoyer des images de ces motos et suspensions pour qu elles m aident a la restauration de cette moto dollar


    merci pour votre réponse (s il le faut je peux vous les acheter car j en es vraiment besoin)


    cordialement

    7
    Jeudi 10 Septembre 2015 à 09:47

    sebastien

    Je ne fournis pas d'autres documents que ceux qui sont ici publiés. Si vous avez cliqué sur les images, l'agrandissement est je pense suffisant pour comprendre le mécanisme de cette suspension.

    Bon courage pour votre restauration.

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