• L'Album de famille des Français 1940-1970 (5)

    L'Album de famille des Français 1940-1970 (5)

    Dans les années difficiles, deux privilégiés sur Terrot (à gauche) et Motobécane munies du masque de phare réglementaire avec "fenêtre" de 10 cm x 1 cm. Le personnage de droite est chaussé en "triple semelles" et son trench-coat, comme celui de son voisin ne sont pas du premier venu.

    LES RESTRICTIONS ne touchent pas tous les Français de façon égale. Certains bénéficient de passe-droits tout à fait "légaux" de par leur profession (médecins, vétérinaires, ingénieurs, responsables d'industrie, commerçants, etc). Ils ont droit à une allocation d'essence et à l'indispensable Ausweispapier. D'autres obtiennent ces avantages par des moyens inavouables, mais en général avec l'accord tacite des services de police français et... allemands en zone occupée. Alors que le moindre bout de tissu n'est obtenu que moyennant des "points L'Album de famille des Français 1940-1970 (5)textile", ou au prix de marchandages tortueux, être habillé et chaussé correctement est un signe insolent d'aisance. C'est aussi un défi de la part d'une jeunesse classée "J 3" par référence à la catégorie des tickets de rationnement auxquels elle avait droit de 13 à 21 ans. Plus communément, on la catalogua   "swing" puis "zazou" en référence au jazz plus ou moins "francisé" qu'elle écoutait de façon plus ou moins clandestine.

    UN INTERMÈDE TRAGI-COMIQUE

    Elle dérange encore plus cette jeunesse par ses vêtements, veste trop longue avec pantalon à mi-mollet, chaussures à triple semelle crêpe chez les garçons, jupe (plissée) au-dessus du genou pour les filles avec chaussures à talons hauts (semelle en bois, par économie) et chevelure en "nid de corneille". Les jeunes gens tentent d'échapper à toute forme d'obligation officielle, chantiers de jeunesse ou, plus tard S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). Des rafles de "zazous" sont menées par la police parisienne dans les cafés et restaurants des Champs-Élysées et au Quartier Latin. L'État français supporte de moins en moins cette forme de résistance passive, alors que, prenant les devants, les Jeunesses Populaires Françaises, émanation du collaborationniste Parti Populaire Français, parcourent les rues, tondeuses et rasoirs en mains pour priver le zazou mâle de son emblème principal : une chevelure abondante. Il sera quasiment assimilé aux Juifs, au point que certains d'entre eux porteront par bravade l'étoile jaune imposée en 1942 avec le mot "zazou" brodé à la place du mot "juif". L'esprit frondeur des Français se manifeste parfois de façon ésotérique, par exemple en se promenant dans la rue avec deux cannes à pêche à la main ce qui permet de répondre aux curieux qui s'interrogent que vous transportez... "deux gaules". On chansonne aussi le maréchal Pétain rebaptisé "Connétable du déclin", mais le vieux chef de l'État proclamé à L'Album de famille des Français 1940-1970 (5)Vichy est plutôt bien considéré dans l'ensemble de la population. Certains s'accommodent d'ailleurs au mieux de cette période trouble et mouvementée.

    Les affaires, pas toujours très propres, sont florissantes et l'argent facilement gagné se dépense aussi facilement. Dans les bars, restaurants et boîtes de nuit des quartiers chauds de Paris se côtoient des bourgeois en veine d'émotions, des truands, trafiquants du marché noir, prostituées de haut vol et officiers nazis qui s'emploient à vérifier le dicton d'origine germanique selon lequel on est "heureux comme Dieu en France". Chez Drouant, Maxim's, la Tour d'Argent "les additions peuvent dépasser 50 francs", prévient La Semaine - Hebdomadaire Illustré qui s'empresse d'ajouter qu'une "très grande partie des bénéfices est versée au Secours national".

    Par des dérogations exceptionnelles obtenues souvent à grand renfort de pots de vin (de champagne millésimé, plutôt) beaucoup d'établissements peuvent ignorer le couvre-feu ordonné par l'occupant (1941). Une mesure qui interdit aux Français de se déplacer durant une partie de la nuit, en général entre 22 heures et 5 heures du matin. Cet horaire est décidé par le commandant de telle région ou de telle ville et cette restriction de circulation peut débuter à 20 heures (exemple ci-dessus), surtout vers la fin de la guerre, au moment (février 1942 Stalingrad) où les armées allemandes commencent à connaître des revers.

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    Devant le désastre effroyable qu'elle subit sur le front russe (450 000 morts allemands à Stalingrad -  740 000 du côté russe dont 250 000 habitants) l'Allemagne cherche par tous les moyens à combler son déficit en hommes. Au point de chercher des volontaires au moyen d'annonces dans les journaux français.

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    Devant le restaurant parisien Maxim's, le voiturier est désormais chargé de veiller sur un "garage" de bicyclettes (obligatoirement immatriculées) et de vélomoteurs. Ce noctambule, en l'absence de pinces à vélo, doit sacrifier un peu de sa dignité pour ne pas abîmer un costume qui vaut son pesant de "points textile". Pour en savoir plus sur l'immatriculation des bicyclettes et cycles à moteurs auxiliaires durant l'occupation, on peut se reporter aux nombreuses pages d'un passionnant forum sur ce sujet chez "tontonvelo.com".

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    Autre image de Maxim's où l'on voit très bien à gauche le "garage" des vélos tandis qu'une discussion sur le prix de la course s'est engagée avec le "chauffeur" d'un tandem-taxi décapotable. À l'arrière-plan, un autre vélo-taxi en attente offre un abri plus confortable (Photo par Pierre Zucca, rare photographe français à être autorisé à travailler dans Paris car il photographiait aussi pour Signal, l'hebdomadaire allemand qui fournissait les pellicules).

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    Toutes sortes d'engins roulants sont ressortis des remises et garages, à commencer par les bicyclettes et les fiacres (tarif : 10 F du kilomètre). Les plus chanceux ont transformé leur vélomoteur de loisir en bête de somme, mais ce petit deux-temps (marque indiscernable) devait bien souffrir à transporter deux passagers et son pilote.

    CEUX QUI NE VEULENT PAS CROIRE AU GAZOGÈNE

    Dans le transport individuel, sauf à choisir l'option sidecar, le gazogène montre ses limites qui tiennent essentiellement à son poids et surtout son encombrement. Dans la recherche d'un carburant de substitution on arrive à l'acétylène dont la providentielle revue Système D "Le rendez-vous de l'ingéniosité française" s'est empressée d'expliquer, sur quatre pages,  le fonctionnement appliqué à la motocyclette.

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        Sur le papier, le principe est simple par rapport au gazogène, d'autant que la revue...

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    ... fournit également le plan de l'implantation sur une motocyclette courante telle que la Motobécane. On ne connaît pas d'exemple "vivant" d'une telle réalisation qui, selon Système D offrait quelques difficultés d'ordre pratique. D'une part, la production nationale de carbure de calcium aurait été insuffisante à satisfaire la demande. Avant la guerre 50 000 tonnes étaient utilisées pour l'éclairage et l'alimentation des postes de soudure : ceci représentait 1 à 2 % de ce qu'il aurait fallu pour satisfaire le parc motorisé des années 40. Enfin, à l'aide de savants calculs, la revue démontrait qu'il fallait environ 4 kilos de carbure et autant d'eau pour obtenir l'équivalent de 1 litre d'essence. Couronnant le tout, une douzaine de dessins cotés insistait sur la difficulté de fabrication du système décrit avec cet avertissement : "C'est en réalité une petite chaudière que nous allons fabriquer, pensons-y, et ne la faisons pas à la légère"...  

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    Les multiples usages du gaz comprimé devaient fatalement trouver une solution motocycliste. C'est pourquoi en 1941 La Vie Automobile consacra un long article à la réalisation de la S.A.I.G. (Société pour l'application industrielle des gaz comprimés et liquéfiés - Grand Garage de la place Clichy). Une Motobécane 350 latérales de 1930 servit de cobaye pour cette expérience sans doute unique consistant à faire fonctionner un moteur au gaz de ville sans autre modification que l'apport d'un détendeur à deux étages "de type Mandel" et les canalisations nécessaire aux différentes opérations. 

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    Chacune des bouteilles contient 4 litres en eau, soit 16 kilos en tout, ce qui est loin de ce que nécessiterait un gazogène pour un rendement comparable.

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    Des reprises moins brillantes et une vitesse maximum diminuée de 10 % environ sont, ajoute La Vie Automobile, "le tribut qu'on paye communément pour rouler (...) dans les conditions actuelles". La moto à gaz qui annonçait des étapes de 50 à 60 km sans recharge ne semble pas avoir dépassé le stade du prototype...

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    Mais un concurrent redoutable s'annonce déjà et qui sera plus largement utilisé... Sur quelques automobiles et surtout des camionnettes de livraison. À défaut de l'être sur la moto, malgré l'optimisme de l'inévitable Système D

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    ... Avec un argument dont on n'a pas fini d'entendre parler car, ainsi que le proclamait la publicité des Accumulateurs Tudor : PARISIEN, CES VÉHICULES ÉLECTRIQUES NE CONSOMMENT PAS TON OXYGÈNE !

    (À suivre)

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  • Commentaires

    1
    jackymoto
    Vendredi 17 Juillet 2015 à 20:11

    Je découvre sur la seconde photo,  que la plaque d'immatriculation tordue et donc illisible, n'est pas une invention de certains " VEAU-YOUS " des années 70, (comme le prononçaient les mamies de Limoges) !happy

    2
    gilles
    Vendredi 17 Juillet 2015 à 21:39

    la première photo semble retouchée, surtout au niveau des visages, qu'en pensez-vous?

     

    3
    Liaan
    Samedi 18 Juillet 2015 à 09:34

    @ Gilles : Cela m'en a tout l'air, aussi, surtout le personnage en Motobécane à droite. Ce doivent être les Dupond-Dupont en mission secrète.

    4
    Horvat
    Samedi 18 Juillet 2015 à 10:56

    Superbe Jean : assurément de la bel'ouvrage, comme d'hab. ! J-M

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    5
    Samedi 18 Juillet 2015 à 20:16

    La théorie des complots sévirait-elle jusques en nos murs ?

    6
    scalet
    Samedi 1er Août 2015 à 15:31

    Un de mes aiguilleurs (sncf) René Blanc, résistant de la première heure et capitaine FFI, utilisa pour ses déplacements "de guerre" une moto alimentée en acétylène par la lanterne réglementaire sncf reliée au carbu par un tube de caoutchouc. Le moteur chauffait énormément et le débit d'huile devait être ouvert à fond. 

    il faut savoir que l'explosion de l'acétylène est extrèmement brisante et un moteur n'y aurait pas résisté longtemps, mais à cette époque nécéssité faisait loi.

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