• La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

    Échappant à l’horreur de la vie quotidienne des tranchées, l’agent de liaison motocycliste n’effectue pas pour autant des missions sans danger. Un autre motar évoque ses souvenirs dans une revue spécialisée. Au passage on notera un hommage appuyé à la Triumph, l’une de ces fameuses monos 550 cm3 latérales surnommées "Trusty" (loyale, sûre) pour leur fiabilité exceptionnelle.

    UNE SALE BLAGUE DE L'A.L.V.F. (nda : Artillerie Lourde sur Voie Ferrée)

    La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

    À chacun d'adapter son habillement selon les circonstances, depuis la tenue presque réglementaire, calot compris, jusqu'à la canadienne à col doublé de mouton en passant par la veste en cuir. Un seul casque dans tout ce groupe, mais guère protecteur pour un motocycliste. L'équipement en matériel est plus homogène car fourni par deux des trois marques les plus utilisées : Triumph (1ère à partir de la gauche, puis 2ème et 4ème) avec BSA pour les autres.  

     "LE SOIR VENAIT... Dans notre carrière de Billy un calme absolu régnait : les camions, partis depuis midi, ne devaient rentrer que dans la nuit ; aussi chacun jouissait de son mieux de la délicieuse fraîcheur qui se substituait au soleil tropical de l’après-midi. Pour mon compte, noyé dans ma veste de cuir, casque en tête et revolver au flanc, j’attendais "les papiers pour le P.C." en sacrant après le "vieux" qui allait encore me faire rentrer de nuit. Finalement il apparut et garnit ma sacoche d’une liasse d’états plus ou moins "néant" et de quelques messages secrets. Un coup de kick et ma Triumph, démarrant superbement, m’emportait plein gaz vers la ligne de feu. Bientôt je quittai la route de Reims et franchis l’Aisne. Au loin, vers le Nord, la canonnade marchait bon train, et tout faisait pressentir... un sérieux sonnage à l’arrivée. Néanmoins mon attention était principalement retenue par les difficultés du terrain et les doux gargouillements que la trépidation faisait naître dans mon estomac trop bien lesté. Aussi fus-je quelque peu ahuri de ce que je vis en dévalant la côte du fort de Condé. La route, la route où j’étais passé la veille, était aux trois quarts coupée, cependant que de respectables cratères en jalonnaient les bords et que de désagréables 105 y rendaient à cette heure le passage périlleux.

    La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

    Pour apporter un peu de fraîcheur dans la fournaise du combat, rien de tel qu'une pastille "Ricqlès", avec en prime une vignette finalement pas trop éloignée de la réalité. Le thème représenté ici sera copieusement exploité par la suite.

    CALME ET RÉSOLU je passai et bientôt, quittant la route, je m’engageai sur les pistes aboutissant au P.C. Dans le crépuscule, la flamme des arrivées, agrémentée du bourdonnement des éclats, réduisait à chaque instant mes chances d’arrivée, et pourtant le but était là, à huit cents mètres, dont chaque seconde me rapprochait. Une chose était seule possible : passer... ou tomber là, sur ces pistes, loin de tout secours...

    Malgré tout, j’arrivai à destination, remis mes papiers, en reçus d’autres et me relançai dans la fournaise, poussant gaz et avance pour ne pas rentrer trop tard (...). J’arrivai à Celles, au bord de la voie ferrée, où quatre pièces de marine, en tourelles, braquaient leurs énormes volées à quelques mètres en travers et au-dessus de la route. Imprudemment, je tentai de passer avant le départ des coups : hélas ! la quatrième pièce cracha au moment exact où je passais dessous... Une flamme géante, un choc et je me retrouvai dans le fossé appuyé au talus, avec le feu à bord et sourd comme un pot. J’ai éteint l’incendie, et je me rappellerai longtemps d’avoir été "sonné" par un départ français". 

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    Dans la Somme, tir d'une pièce de 164 sur voie ferrée. (Photo Culver Pictures)

    CE VACARME de l’artillerie est toujours présent sur le front. Dans "Le Feu", terrible livre-témoignage d’Henri Barbusse, tous ces bruits sont évoqués avec une composante inattendue :

    " - Le moulin à café ! Un des nôtres, écoute voir : les coups sont réguliers tandis que ceux boches n’ont pas le même temps entre les coups; ils font : tac... tac-tac-tac... tac-tac... tac...

    - Tu te goures, fil à trous ! C’est pas la machine à découdre : c’est une motocyclette qui radine sur le chemin de l’Abri 31, tout là-bas".  

    Autre mission, autres dangers avec l’accompagnement des colonnes de camions. À l’époque pas question de liaison-radio entre les véhicules, c’est donc le motocycliste qui assure cette fonction. L’un d’eux raconte :

    "CONVOYEUR"

    "DEPUIS HUIT JOURS il pleuvait sans répit, comme si le ciel était d’accord avec les boches pour nous rendre infernale cette préparation d’offensive. Couverts de boue, de la semelle de nos souliers au cimier de notre casque, alourdis dans nos cuirs roides et le flanc battu par notre revolver rouillé, nous roulions sans répit dans la boue liquide où plongeaient voluptueusement nos silencieux crevés. C’était la "flotte"  avec toute l’horreur que ce mot inspire au soldat.La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

    "Naturellement, nos camarades des camions restaient de temps en temps enlisés dans les fossés avec quelques tonnes de ferraille ou d’explosifs.

    Ci-contre vu par Jean Routier, le motocycliste  en mission, réconforté par Hébé, fille de Zeus et symbole de l'éternelle jeunesse...

    Heureux encore quand tout se passait sans dégâts, ce qui n’était pas toujours le cas au grand dam des dépanneurs qui ne savaient plus où donner de la tête. En conséquence, il nous fallut, en plus des messages diurnes et nocturnes, assurer le convoyage des ravitaillements en munitions en concurrence avec les "touristes" de l’échelon, chose peu agréable et souvent très dangereuse, vu la maladresse de certains chauffeurs et les fausses manoeuvres, assez fréquentes dans la nuit. Ce jour-là donc, c’était mon tour de faire le chien de garde le long des cinquante Peugeot du 1er Groupe du N...ième R.A.L. qui allaient charger à Bazoches pour gagner de nuit notre position de Brenelle. Aussi, un pied à terre et l’autre sur mon kick, j’attendais le coup de sifflet du capitaine chef de convoi. Il retentit, les moteurs grondèrent et le long serpent s’ébranla.

    La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

    Dans son aspect presque "civil", la Triumph H a fort belle allure avec un pilote qui ne lui rend rien sous ce rapport. La machine a cependant suffisamment "vécu" pour arborer la courroie de cuir qui limitait les débattements de sa fourche pendulaire, l'une des rares faiblesses que ses utilisateurs reconnaissent à la H.

    "Métier de chien que faire le chien par un temps de chien avec des vieilles badernes qui n’y connaissent rien. Vraiment quelle barbe que ce va-et-vient le long d’un convoi de deux kilomètres, mais aussi quelle école de manoeuvre avec ces interminables zig-zag au ras des quatre tonnes qui vous frôlent de leurs ailes mortelles et vous rappellent qu’en convoi toute fausse manoeuvre est passible d’écrasement !

    "Enfin on roulait et, en dépit du tango, les bornes kilométriques se succédaient et nous rapprochaient du parc (...) le chargement commença (...).

    "Trois heures plus tard, les moteurs grondaient de nouveau et le long serpent s’ébranlait, mais cette fois vers l’horizon rouge où flamboyaient canons et fusées. Arriverait-on intacts ou bien, averti par ce ronflement insolite, l’ennemi nous prendrait-il sous les rafales sinistres de ses canons lourds.

    "Moins on est, meilleur c’est ; aussi était-ce peu réjouissant d’être cinquante-cinq véhicules ensemble (...). Ce n’est pas sans émotion que le convoi approchait du passage à niveau de Braisne. ZZ... boum ! un 105 vient de s’abattre à 10 mètres de la route, à la hauteur du 32e camion, un deuxième suit, court, puis un troisième en tête du convoi et un quatrième 100 mètres derrière nous.

    Mais pourquoi diable s’arrête-t-on au lieu d’accélérer, notre abruti de capitaine a-t-il juré de nous faire casser la g..... Ma foi, je pousse jusqu’en tête voir ce qui se passe.

    Heureuse idée qui me sauve la vie car j’ai à peine démarré que le camion de queue, dont les servants ont sauté et sont à plat ventre quelque part par là, reçoit un 150 sur une roue et s’abat.

    La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

    Même pendant la guerre, la publicité continuera de sévir en utilisant des éléments tirés de l'actualité. Il en fut ainsi dans la revue "Automobilia" qui publia comme par le passé des informations sur l'activité des industriels de l'automobile. Par force, il s'agissait surtout de nouvelles commerciales provenant des pays alliés.

    "J’arrive haletant en tête et trouve les chauffeurs en train de passer outre et de fuir, de fuir à plein moteur vers l’avant, vers les batteries qui attendent notre chargement. Vrai, notre piston [Ndlr : capiston = capitaine] de 60 ans n’est pas fort, faire arrêter un convoi sous un bombardement quand on attend après, c’est le comble de l’incohérence. Enfin quoi, il a voulu crâner, mais d’une drôle de façon car il importe d’arriver et non de recevoir des marmites, même au point mort. Du coup, je fais volte face. Ma place désormais est en queue et il faut savoir s’il y a plus de casse là-bas, mais voilà le 45... il me hèle : "Dis donc moto, on avance mais le lieutenant te cherche, il y a de la casse derrière. Hélas ! c’est vrai, en plus du 50 qui gît là, épave désormais inerte, le 47 et le 49 sont criblés d’éclats, réservoirs, radiateur, carter sont percés à jour. Le 48 est embourbé, c’est la débâcle et ces cochons de boches qui tirent toujours, mais par bonheur franchement long.

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    Un atelier de réparations "Cycles et Motos" français dans les débuts du conflit. On y trouve un inattendu échantillonnage de la production européenne avec, de gauche à droite : une 4 cylindres F.N. belge ; une Terrot française bicylindre en V et enfin une (bicylindre ?) N.S.U. allemande.

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    La guerre s'est installée pour durer et le matériel souffre au point que l'armée anglaise a créé des centres de réparations de ses motos directement sur le sol français. Reconnaissables au premier plan à leur volant extérieur, les Douglas y sont nombreuses, en compagnie de Triumph et BSA (Photo Olyslager Auto Library).  

    "Sur l’ordre du lieutenant, les rescapés des camions touchés grimpent sur le 46. Mais qu’est-ce ? X... et Z... laissent une traînée. Horreur! du sang, du sang qui suinte des manches de cuir, puis deux cris, ils sont touchés l’un à l’épaule, l’autre à la main et aucun ne s’en était encore aperçu ! Mais on a des pansements et l’ambulance de Braisne est proche. En avant le 46, on les aura...

    "On a ravitaillé sans accroc, mais la vieille baderne de 60 ans a démissionné. Les convois se sont réduits à 5 camions et, à notre grande joie, nous avons repris nos liaisons cessant, sans aucun regret, de faire le petit chien le long de pareilles cibles ambulantes.

    Avril 1917 - Un motar culotté".

    LES "INSOLITES" DANS LA BATAILLE

    Très tôt les militaires ont tenté d'utiliser le motocycle à des fins guerrières. Le tricycle De Dion-Bouton était présent lors de manœuvres françaises du IVéme corps d'armée en 1897 avec quatre exemplaires menés par leurs propriétaires réservistes. L'un d'eux était Georges Osmont, pilote "officiel" chez de Dion et qui louera aussi ses talents à la F.N. d'Herstal.

    Un tricycle armé américain sera présenté par Mr Colt (celui du revolver) vers 1902 tandis qu'un quadricycle équipé d'une mitrailleuse fut testé dans la guerres des Boers (1899-1902). Ces tentatives ne débouchèrent sur rien de concret et il faudra attendre de longues années avant que l'idée d'une unité motocycliste militaire ne naisse, venant de la pourtant peu belliqueuse Belgique.

    La Motocyclette en France 1914-1921 - Réédition (4)

     Le Bataillon cycliste de l'armée belge était équipé des meilleures productions de l'usine F.N. (Fabrique Nationale). On y trouvait aussi bien la fantastique 4 cylindres - dernière à droite et en amorce à l'extrême gauche - que la monocylindre (deux exemplaires au milieu).  

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    S'il faut en croire cette carte postale "officielle" et en couleur, la F.N. 4 cylindres était réservée aux gradés. Celle-ci paraît être un modèle 1910-11 caractérisé par un carburateur logé sur le côté des cylindres. Le tube contenant le ressort amortisseur de la fourche sur biellettes est plus long que précédemment. Renommée pour sa robustesse, cette machine fut adoptée par l'armée russe.

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    Autre vue plus large de la section motocycliste belge visible plus avant. La plaque à gros chiffres qui apparaît à gauche est celle de l'immatriculation qui fut longtemps réglementaire en Belgique (Ne nous plaignons pas trop de celle qui est en vigueur aujourd'hui dans l'Europe unie)

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    Militaires et responsables civils au milieu des ruines de Pervyse - ou Pervijze - proche de Dixmude (Belgique), et qui fut entièrement détruite durant la guerre. Au premier plan, une Rudge "Multi", encore avec la spectaculaire plaque belge, tandis que le fût d'un lampadaire dissimule une 4 cylindres F.N.

    (À SUIVRE)

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    SI VOUS PRENEZ LE TRAIN EN MARCHE

    Cette série d'articles est la suite numérique des trois livres que j'ai consacrés à "La Motocyclette en France". Sont déjà parus un volume sur la période "1894 - 1914", un deuxième sur "1914 - 1921" tous épuisés. Un troisième traitant les années 1922 à 1924 est le seul encore disponible. La présente "édition" est remaniée et complétée à l'aide de documents découverts depuis la parution du volume-papier. Le présent article est le quatrième de la série commencée le 4 mars 2015.

     

     


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  • Commentaires

    1
    berson alain
    Mercredi 9 Décembre 2015 à 15:02

    un seul mot : passionnant !

     

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    2
    jackymoto
    Mercredi 9 Décembre 2015 à 23:56

    Bravo, car dans les revues de l'époque,  on ne voit que des chevaux et des camions. Les photos de motos et de leurs cavaliers, comme on disait à l'époque, ne sont pas facile à trouver! Les motos françaises étaient beaucoup trop légères pour résister à un usage militaire.

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