• La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

    SI VOUS PRENEZ LE TRAIN EN MARCHE...

    Cette série d'articles est la suite numérique des trois livres que j'ai consacrés à "La Motocyclette en France". Sont déjà parus un volume sur la période "1894 - 1914", un deuxième sur "1914 - 1921" tous épuisés. Le troisième traitant les années 1922 à 1924 est le seul disponible. La présente "édition" est remaniée et complétée à l'aide de documents découverts depuis la parution du volume-papier. Le présent article est le huitième de la série commencée le 4 mars 2015. 

    La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

    LES AMÉRICAINS ARRIVENT !

     Dans un port des États-Unis non identifié, des fantassins yankees s'apprêtent à embarquer pour la France. Photo de l'U.S. Signal Corps jamais publiée en son temps car des espions auraient pu en tirer des informations sur les infrastructures du port et les bateaux visibles à l'arrière-plan.

    La Motocyclette en France 1914-1921 (Réédition (8)

    Photo de tournage extraite d'un film sur la guerre (titre inconnu) dans le décor reconstitué d'une France caricaturale vouée aux liqueurs ! Le réalisme dans les détails est néanmoins plus respectueux d'une certaine réalité avec ces enfants qui marchent au pas avec les soldats, ainsi qu'une authenticité indiscutable des uniformes, des armes, du camion et du side Harley dans une boue presque palpable

    La Motocyclette en France 1914-1921 (Réédition (8)

    Depuis le camion de transport lourd (FWD = Front Wheels Drive : Traction avant - Erreur, voir en fin d'article le commentaire avisé de FAJ), jusqu'à la camionnette plus légère à l'arrière-plan (Ford T) en passant par le sidecar Indian, les États-Unis ont débarqué avec armes et bagages ! (Photo de l'U.S. Signal Corps, censurée à l'époque).

    ENTRÉE EN GUERRE à l’automne 1917, l’Amérique du Nord débarque avec un matériel imposant. Elle l’installe dans d’immenses camps dont l'un des plus importants est situé aux environs de Saint-Nazaire, port accessible et à l’abri des coups de l’ennemi. Dans ses moyens de transport, l'U.S. Army compte en quantité réduite des motos et sidecars qui, d’après des renseignements qui se recoupent (on le verra plus loin), seront le plus souvent utilisées par les seuls soldats américains. Les sidecars armés qui firent de spectaculaires démonstrations préparatoires au cours de manœuvres avant la guerre brillent par leur absence dans la suite des événements. Idem pour les sidecars-ambulances. Comme dans les autres armées alliées, les bicylindres yankees seront cantonnées à des missions de liaisons et de messageries, voire de simples transports individuels. 

    La Motocyclette en France 1914-1921 (Réédition (8)

    Cette carte postale, l'une des plus célèbres sur la présence des Américains en France, a été publiée durant le conflit puisque datée "Guerre 1914-1917", peu de temps après leur débarquement. L'attelage Indian semble ajouté dans le paysage et il s'agit peut-être de celui du photographe auteur de ce cliché. Il renouvelait ainsi une méthode que l'on retrouve sur de nombreuses cartes du début du siècle (le XXème) lorsque l'auteur photographe plaçait la machine qui le transportait dans le champ de l'objectif, afin de donner un peu d'animation à son cliché. Cette petite astuce permettait aussi d'attirer vers sa moto ou son tricycle les curieux qui fournissaient ainsi une figuration spontanée... 

    La Motocyclette en France 1914-1921 (Réédition (8)

    Objet de curiosité pour les populations françaises : le sidecar Indian ou l'Américain venu de l'autre côté de l'Océan ? 30 ans plus tard, la même scène se reproduira probablement, mais avec d'autres personnages et une autre moto (Photo officielle du 'Signal Corps', comme la précédente).

    La Motocyclette en France 1914-1921 (Réédition (8)

    Un soldat américain lave son attelage Indian sous l'œil de plusieurs soldats français qui surveillent leur cheval à l'abreuvoir. Deux moyens bien différents de mener la guerre (Photo "Signal Corps")

    Sur l'emploi de la moto en guerre, il nous reste le jugement d’un officier responsable digne de foi, John U. Constant. Il rédigea à la fin du conflit un rapport circonstancié qui sera publié par la presse d’outre-Atlantique. On y découvre quelques chiffres intéressants, sinon significatifs. C’est aussi une peinture colorée et sans complaisance des énormes cafouillages qui paraissent affliger toutes les armées du monde, même la plus puissante. Cafouillages que John U. Constant souligne néanmoins avec une pointe d'humour...

    La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

    Pas "bikers" pour deux cents, ces harleymens américains se font tirer le portrait qui fera l'admiration des familles restées au pays. Le tan-sad est une rareté et encore plus sur une machine de l'armée.

    Dans son rapport, déclarait John U. Constant, "Je ne crois pas qu’il y ait eu mieux informé que le major Noyes et moi, qui débutâmes en 1917 et eûmes la responsabilité de tout le service motocycliste jusqu’à l’arrivée du colonel Hagerman au printemps 1918. En septembre 1917, il y avait environ 400 motos relevant de l’armée américaine, soit 13 Harley-Davidson (dont une hors de service), une Excelsior, 18 Triumph anglaises et le restant d’Indian toutes très difficiles à maintenir en ordre de marche par suite du manque de pièces de rechange qui, jusqu’à l’arrivée du grand parc de réparations, étaient renfermées dans un placard de mon bureau... (sic). La principale difficulté était de maintenir un nombre suffisant d’estafettes au G.Q.G.

    "Pour comble de malheur et par la faute du service du ravitaillement, le premier lot de rechanges arrivé se composait exclusivement de pièces Harley, alors que cette marque n’avait que peu de machines en service aux armées. Comme nous avions 80 % d’Indian, il fallut adapter les rechanges Harley-Davidson aux Indian endommagées et ce n’est qu’en avril 1918 que nous pûmes enfin recevoir des rechanges de cette marque. Quand vinrent les grandes offensives de 1918, les unités arrivant d’Amérique amenèrent leurs motos et le pourcentage d’Harley-Davidson au corps expéditionnaire ne tarda pas à s’élever.

    La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

    Au Mans, devant le pont en X, deux boys présentent fièrement leurs Harley-Davidson parfaitement équipées avec éclairage et sacoches cuir. La scène a attiré quelques jeunes autochtones...

    "À ce moment, poursuit John Constant, j’étais adjoint au commandant de parc chargé de la réparation de toutes les motos dans la zone avancée et je pus constater que les machines arrivant d’Amérique avaient pas mal servi là-bas et ne pouvaient rendre que 65 à 75 % de leur rendement normal, ce qui revient à dire qu’au bout de peu de temps elles étaient hors de service. Je dirai quelques mots également du parc de réserve du matériel motocycliste de Langres que dirigeait le lieutenant Rosamond et où, par wagons entiers, arrivaient Indian et Harley-Davidson en si piteux état qu’on ne voit pas la raison qui ait pu motiver leur transport en Europe sauf peut-être pour lester les bateaux (sic) ...

    La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

    Selon les instructions de John U. Constant (voir texte ci-dessous), la marque de la moto sur le réservoir a été effacée. On aura reconnu sans peine la 1000 Harley-Davidson semi-culbutée.

    ... "Je suis connu comme un vieil agent d’Indian, mais je puis affirmer qu’à l’A.E.F. (Ndlr : American Expeditionary Forces) la marque des motos ne comptait pas pour moi, au point qu’en octobre 1917 je câblai en Amérique pour faire disparaître le nom de la marque sur les réservoirs afin d’éviter toutes discussions des qualités respectives de divers types en usage à l’A.E.F. Car en somme Indian et Harley-Davidson peuvent être également fiers d’avoir aidé à gagner la Grande guerre.La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8) D’autre part, il est avéré que ni l’une ni l’autre de ces machines n’était le type rêvé pour la moto militaire... mais si dans certains cas on n’a pu les utiliser, il faut se rappeler, comme je l’ai dit plus haut, qu’il s’agit d’exception et non de la généralité. Peu soucieux d’engager une discussion technique avec les ingénieurs de ces deux firmes, je ne dirai rien des défauts pour la guerre de ces machines dont s’aperçoit rapidement tout motocycliste à la page.

    Décembre 1917, "Lectures pour Tous" fête le 1er Noël américain >

    "Quoi qu’il en soit, un fait domine tous les autres : c’est que la moto a rendu d’inappréciables services à l’armée américaine et a largement contribué à la défaite allemande. La meilleure preuve en est qu’à mon arrivée en France les forces combattantes disposaient de 102 motos par division et que ce chiffre n’a pas tardé à monter à 350. La prochaine grande guerre, si jamais elle vient, verra la moto plus employée que jamais. "C’est là un aperçu de l’effort fourni et des services rendus par la motocyclette dont l’emploi fut également généralisé dans l’armée française.

                       John U. Constant ".

    Partie intéressée dans le débat (il ne cache pas qu’il est lui-même dans le civil un agent d’Indian), John U. Constant prenait ses désirs pour la réalité.

    On aurait pu lui répondre que si la dotation en motocyclettes des divisions était passée du simple au triple, c’était peut-être aussi pour absorber la production des constructeurs américains. Chez Indian, tout particulièrement où, les commandes militaires seront un providentiel ballon d’oxygène dans une situation financière en train de se dégrader...

    La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

    Au lendemain de l'armistice, ces attelages Harley-Davidosn réformés vont faire la joie de centaines d'amateurs français et, durant des années, le désespoir de nos constructeurs.

    LE BILAN

    Des deux côtés de l’Atlantique, les recherches sur le véhicule militaire à deux ou trois roues allaient reprendre de plus belle. Les "experts" français continuèrent à prédire le plus brillant avenir à la moto militaire en des termes où le lyrisme l’emporte sur le réalisme. Pour preuve cet extrait de "L’Armée Française" daté de 1935 (J. de Gigord, Editeur) : "Au volant de leurs autos-mitrailleuses, bondissant avec leurs motocyclettes sur les chemins cahoteux, nos cavaliers modernes auront, comme leurs devanciers, à faire preuve de ces qualités d’initiative, de débrouillage, de cran, qui ont toujours été l’apanage de la cavalerie française… La conduite d’engins qui La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)peuvent "galoper" à 50 à l’heure exige autant d’audace et un esprit de décision encore plus aiguisé. Le culte des traditions, le maintien de l’esprit cavalier, toujours en honneur, restent
    les meilleurs garants de la valeur de notre cavalerie". 

    Penser cheval avant de penser mécanique était l’attitude d’esprit qui prévalait jusque dans les plus hautes sphères militaires de notre pays. On se souviendra que c’est au bout de six ans "d’études" que le ministre de la Guerre avait finalement autorisé, le 28 janvier 1901, la formation de la première compagnie cycliste (cantonnée au 132e de Ligne, à Reims), sur une idée du capitaine Gérard. Compagnie qui fut immédiatement présentée comme la cavalerie d’acier...

    Il ne faudra donc pas s’étonner de voir, dans les années 30, les recrues apprendre à piloter une moto selon les règles du manège hippique : fixée au bout d’un bâti de fer remplaçant la longe, la René Gillet de service a simplement pris la place du cheval. L’apprenti motocycliste tourne en rond, comme le cavalier avant lui, toujours sous l’oeil du capitaine-instructeur, toujours éperons aux bottes et toujours cravache sous le bras !

    La Motocyclette en France 1914-1921 Réédition (8)

     Jusqu'en 1939, quoiqu'avec humour, la fiction perdure... 

    (À SUIVRE)

     


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  • Commentaires

    1
    Didier Bouard
    Jeudi 14 Janvier 2016 à 11:27

    Pour avoir modestement travaillé sur le sujet, je me régale à la lecture de ces informations. Bravo et merci pour leur partage ! :-)))

    2
    FAJ
    Jeudi 14 Janvier 2016 à 11:34

    Décidément, Jean, tu n'as pas de chance avec les autos ! Sur la troisième, la marque du camion FWD n'est pas les initiales de Front Wheel Drive - traction avant qui, au passage, est un pléonasme adoubé par la langue française ! - mais Four Wheel Drive qui signifie  Four Wheel Drive. Et oui, c'est un 4X4, comme les actuels tracteurs de Neuilly-Passy ! Un sacré progrès technique à l'époque.

    3
    gigi
    Jeudi 14 Janvier 2016 à 12:51

    Je lis avec plaisir que le volume 3 de "La motocyclette en France" est encore disponible ...Mais où le commander ????

    Peut-être parle biais de ce blog bluffant ????

      • Bourdache
        Jeudi 14 Janvier 2016 à 15:29
        Contact
        Janbour@free.fr
    4
    Jackymoto
    Jeudi 14 Janvier 2016 à 12:59

    La mienne doit être au milieux de ce tas de ferrailles. A noter qu'il y en avait des barbouillées en vert olive, et d'autres qui venaient directement de l'usine (pièces nickelées etc). Mon copain Maurice était devenu mécanicien moto car son oncle, un forgeron, roulait avec un side Harley dont la vitesse l'avait impressionné (même si il détesta réparer des bicylindres en vé, totalement anti-mécanique disait il, pendant toute sa carrière!).

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