• Zhumeurs de juillet (2)

    Louis Baudry de Saunier est un nom familier à quiconque s'intéresse aux premiers âges de l'histoire de l'automobile et de la motocyclette. Et aussi à l'aviation, l'aérostation, au cyclisme, à la navigation à moteur, voire - mais plus tardivement - au chauffage central et à l'éducation sexuelle (!). Polygraphe incontinent - on peut dire 'pisse-copie' - il a créé et/ou dirigé de nombreuses revues plus ou moins spécialisées dont "Omnia" et "La Vie Automobile" sont les plus célèbres. Et les plus recherchées. En 1906, il produit un ouvrage ambitieux "L'Annual Baudry de Saunier", qui, en 750 pages se veut un dictionnaire de l'automobile et une sorte de "Bottin" des personnages évoluant dans ce milieu.

    Opération réussie car depuis lors, dès qu'apparaît le nom d'un constructeur, d'un inventeur, d'une marque qui peuvent sembler inconnus, la première recherche commence en ouvrant "L'Annual 1906". Démonstration par l'exemple :

    Zhumeurs de juillet (2)

    Vous arrive cette photo non datée, non située, avec cette seule légende manuscite : "Motoauto Bonin à débrayage progressif bréveté". A priori, on suppose que le pilote est le constructeur de la machine. Il a pris soin de revêtir son meilleur costume de "chauffeur" et pose avec au bras gauche le brassard noir qui marquait alors le deuil d'un proche parent. Un coup d'œil à l'Annual 1906 donne l'adresse d'un "E. Bonin, motocyclettes et tri-cars "l'Ideal", 17, av. de la Motte-Picquet, Paris", mais aucune illustration, pas la moinre publicité sur la marque dans le reste de cet Annual.

    Afin de voir à quoi ressemble une motocyclette Bonin il faut s'en remettre, une fois encore, à l'omniprésent Baudry de S. qui rédacte en chef chaque semaine dans La Vie Automobile de Mme Veuve Ch. Dunod, Éditeur-Gérant. Le 12 août 1905, sur environ 1/2 page y est décrite une moto Bonin illustrée d'une photo de profil de la machine seule. Document intéressant qui nous montre une machine assez différente de la "nôtre".

    Zhumeurs de juillet (2)

    Au vu des "améliorations" apportées sur le modèle de La Vie Automobile, on peut supposer qu'il s'agit d'une dernière version. En effet, elle est munie d'une suspension intégrale avec une fourche avant à roue poussée. Celle-ci est munie de deux ressorts dont l'un travaille à l'amortissement tandis que l'arrière utilise des ressorts à lames d'une géométrie plus... agricole - mais qui trouvera des suiveurs de choix tels Indian ou ABC, entre autres.

    Le dessin du cadre ouvert est d'une complication rendue nécessaire pas le besoin d'avoir un moteur fixé par des platines et placé le plus bas possible, gage d'une meilleure stabilité. Ce que ne favorisait guère la position du pilote en arrière de l'axe de la roue arrière. Ce que La Vie Automobile justifiait en écrivant que le "chauffeur (...) se trouve éloigné des parties soumises à une température élevée et voit parfaitement devant lui". Ou comment transformer en avantage (?) une aberration technique... La "température élevée" en question est celle générée par un moteur d'origine non précisée, à distribution par soupape automatique et refroidissement liquide sans radiateur apparent. La température idéale de fonctionnement était confiée aux 8 litres d'eau d'un réservoir compartimenté qui recevait également 5 l. d'essence et 1 litre d'huile.

    Côté transmission, la Motoauto Bonin annonçait donc un "Débrayage progressif bréveté" (sic) dont on ne sait rien de plus, sinon qu'il ne s'agit ni d'un Bozier (contre-cône), ni d'un Brampton britannique, ni d'un NSU allemand (tous deux du type à poulie variable) ou encore d'un anglais, l'Enfield (double chaîne). Les deux tiges verticales de commande sur la Bonin font cependant penser à un système proche du dernier cité. Un fort agrandissement de la photo de La Vie Automobile révèle un détail qui ne figure pas sur la moto premier modèle. Là où cette dernière arborait une courroie de transmission, on trouve ici une chaîne qui engrène sur une couronne dentée de grand diamètre (ci-dessous).

    Zhumeurs de juillet (2)

    On ignore malheureusement comment fonctionnait alors le "débrayage progressif qui semble avoir été conservé. Dernière information fournie par La Vie Automobile, la Motoauto Bonin avait été remarquée au Salon Agricole de Paris où elle était "utilisée comme force motrice et mettait en mouvement un van de grandeur moyenne" (N.B : van ou vanneuse : appareil mécanique agricole utilisé pour séparer les céréales de la balle et des poussières - voir sur Ouiki).

    Le tricar Bonin "L'Idéal" annoncé reste d'une commercialisation douteuse. Il était absent d'une grande épreuve de tourisme organisée le 10 septembre 1905 à l'intention d'un véhicule dont la vogue s'affirmait. Des constructeurs tout aussi peu connus que Bonin y étaient engagés tels que Domptet, Le Rappel ou Velox qui n'avaient pas craint d'affronter les Austral, Contal et autres Bruneau ou Bozier, Chanon, Stimula, Lurquin-Coudert, Werner, La Française, toutes marques mieux établies sur le marché.

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    L'aventure de la machine d'Émile Bonin pourrait s'arrêter là. Ou pas ... car en 1927...

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    L'annonce originale dans Moto Revue fait 80 mm de large. 

    ... une plus que modeste publicité dans Moto Revue en fin d'année présentait une Bonin dont certaines caractéristiques étaient assez proches de la Bonin des débuts du siècle. Se peut-il que le bonhomme ait remis son ouvrage sur le métier avec plus de 20 ans d'écart ? Autre adresse dans le Calvados, à Caen (place de l'Ancienne Halle *) mais il s'agit encore une fois d'une machine originale avec une fourche avant dérivée de celle de 1905 aux deux ressorts suspension/amortissement. Le cadre est un double berceau (fermé ?) dont l'origine serait sans doute à chercher du côté d'un certain Loriot qui, à l'enseigne de la Société Surennoise fournissait à la commande toute pièce de partie-cycle pour la moto, selon les exemples ci-dessous.

    (* Le Bottin du Cycle de 1922 indique Rue Saint-Pierre à Caen) 

    Zhumeurs de juillet (2)

    Ainsi paré du côté de la construction la plus délicate à établir, Bonin (Émile ?) pouvait offrir une multitude de possiblités motrices en 2 ou 4 temps puisés chez Moser, à l'exemple de nombreux constructeurs-assembleurs de son époque. Reste le mystère de son annonce avec la mention "avec ou sans suspension AR" qui devait renforcer la "Propreté et silence de la conduite intérieure" promise dans une autre annonce.

    Décidément obstiné dans ses convictions, Bonin présente au Salon de Paris suivant une nouvelle machine équipée du gros bloc-moteur Chaise dans un cadre à triple tubes (!), du moins dans sa partie avant. La triangulation arrière paraît, elle, plus... faible. La fourche avant est une variante de celle déjà vue sur les modèles antérieurs.

    Zhumeurs de juillet (2)

    Ces détails sont bien visibles sur la photo (ci-dessus) publiée Moto Revue qui en parle comme d'une "solution révolutionnaire, très curieuse d'ailleurs". Sauf erreur, c'est la dernière fois qu'il sera question de Bonin dans la presse spécialisée.

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  • Commentaires

    1
    jackymoto
    Mardi 2 Août 2016 à 00:06

    Le cadre Bonin à la suspension très ferroviaire à lames, me fait penser à un dessin de Delarue Nouvellière ou de Dubout. Il n'y a eu que René Gillet pour surpasser le record du rapport poids (énorme) course (minuscule).

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