COMME ANNONCÉ, voici l'autre artiste hollandais qui a un rapport avec la moto (j'en vois qui vont être contents) et qui, comme Ronald Searle, a souffert de la barbarie japonaise durant la Deuxième guerre mondiale. Il en a témoigné par le dessin, mais si vous avez eu l'occasion de feuilleter une collection des années 30 de Moto Revue, les machines qu'il a inventées n'ont pas manqué de vous sauter aux yeux.
Douze cylindres en V (on distingue un deuxième mégaphone derrière celui de gauche), soupapes commandées par arbre à cames en tête, transmission finale par arbre, suspension arrière coulissante (peut-être), fourche avant type OEC, pneus 'Confort', l'artiste ne regardait pas à la dépense...
Dans un style très moderne, Charles Bürki (1909-1994) se livrait à de folles élucubrations personnelles mais dans le respect des techniques de son époque. "Un moteur de papier doit pouvoir fonctionner" disait-il. C'est probablement parce qu'il était lui-même un motocycliste convaincu, à l'inverse de Ronald Searle traité dans le précédent article.
On voit, par exemple dans ce dessin de 1933, le profilage du casque inauguré par les recordmen britanniques (OEC-JAP de Temple, Joe Wright sur AJS) et aussi allemands (BMW 500/750 de Ernst Henne ou des 175 et 250 DKW de Walfried Winkler et Arthur Geiss, ci-des.).
Né dans les Indes Néerlandaises (Indonésie) d'un père architecte, il revient aux Pays-Bas en 1929 pour des études d'architecture. Attiré par le dessin d'illustration, il commence à collaborer avec des publications spécialisées dans la moto et l'automobile. Il vient se perfectionner à l'école des Beaux-Arts à Paris en 1932 et entre en contact avec Moto Revue. Durant plusieurs mois, il va y publier des dessins dont ceux qui figurent ici. Bien d'autres ont suivi, dans les éditions hebdomadaires et aussi dans le numéro de Salon 1933.
Mis à part l'appendice démesuré de cette minuscule cylindrée, on se représente très bien un 75 ou 100 italien de records dans ce genre.
... en voici la preuve en 1949 par Rafaelle Alberti sur Guzzi 65 cm3 !
Charles Burki ne se prend pas toujours au sérieux. Ici, il se moque des principaux participants au proche Tourist Trophy. En haut à gauche, le professeur va décrire les recherches de vitesse des marques de premier plan avec M.V. et son monstrueux carénage, puis, au 2e rang, AJS qui teste le "Gyro-Matic" inégalable en tenue de route. Chez Guzzi on essaie l'Uraniol, un carburant à l'uranium (!) sur la 500 bicylindre en V. On termine avec Norton que Joe Craig, jouant la sécurité, dote d'une transmission par courroie (Traduction de moi- même avec ma louche...).
Pour les épreuves d'endurance sur longues distances, voici le réservoir-accordéon. On aura bien sûr reconnu la machine, une Douglas bien améliorée par une commande des soupapes par un ACT à chaîne.
Ne lui manque plus que des ailes !
La machine personnelle de Charles Bürki est une 500 Norton Inter 30, la crème des sportives britanniques, et preuve du bon goût de notre homme. Et gentleman accompli en même temps car...
... Marié en 1938, il ajoutera un side Steib pour le confort de Gloria, son épouse.
C'est avec cet équipage que tous deux partiront en voyage de noces vers l'Italie. À Gênes, ils embarquent en 1938 vers les Indes Néerlandaises (Indonésie) où ils s'installent lorsque, au matin du 7 décembre 1941...
... l'aviation japonaise attaque la base navale américaine de Pearl Harbor, (Ci-dessus) ce qui entraîne l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon. Poursuivant son invasion de toutes les iles du Pacifique dont il convoîte les matières premières, l'Empire nippon occupe l'Indonésie en 1942. Charles et Sophia Bürki sont capturés en mars puis emprisonnés séparément.
Pendant 14 mois, Charles va vivre dans un camp d'internement très dur près de Bandoung. Traités en esclaves, les prisonniers souffrirent de l'absence de nourriture et de toutes les maladies endémiques du pays (typhus).
En recevant la reddition des troupes alliées (hollandaises, britanniques, australiennes) les Japonais avaient promis de respecter la Convention de Genève protégeant les prisonniers de guerre. Dans aucun des pays qu'ils occuperont, ils ne respecteront cette Convention. Ainsi, dans le camp qu'a connu Bürki les tentatives d'évasion menaient à la mort après un passage dans une redoutable "prison" de barbelés.
Vite repris, parfois avec l'aide des populations locales qui pensaient que les Japonais les aideraient à conquérir leur indépendance, les évadés sont assassinés à la baïonnette. C'est un spectacle qui se déroule devant tous les autres prisonniers du camp forcés d'assister "pour l'exemple" à cette sadique mise en scène.
En 1944, Charles Bürki est transféré vers le Japon sur un bateau qui est coulé par un sous-marin américain (560 morts sur 772 prisonniers) ! Rescapé par miracle, un chalutier japonais le repêche. Emprisonné à nouveau dans un camp à Fukuoka près de Nagasaki, il y échappe, second miracle, à la mort atomique qui s'abat sur la ville le 9 août 1945.
Libéré après la capitulation du Japon, Charles Bürki est envoyé aux États-Unis. En Californie, il y apprend que Sophia, sa femme est à Batavia, sortie indemne de la tourmente. Réunis, tous deux reviennent aux Pays-Bas et Charles reprend son travail de dessinateur.
Il a pu retrouver une partie de ses dessins de captivité cachés avant son départ vers le Japon. Ils resteront inconnus pendant plusieurs décennies car Charles n'estimait pas qu'ils pourraient avoir de l'intérêt. Sous le titre "Derrière les barbelés" (Achter de kawat), ils ont été publiés en 1979 dans une édition devenue aujourd'hui introuvable. Il semble qu'il existe une autre édition récente.
(Prochainement la suite)