Dans les années 60, Christophe a écrit quelques articles dans Das Motorrad et, pour un numéro de 1963, il a pris la place du rédacteur-en-chef de la revue (Photo Das Motorrad)
JE M'ACCUSE, Mea culpa, mea maxima culpa, oui je m’accuse d’avoir laissé brûler une bibliothèque par négligence en oubliant le vieux proverbe africain : "Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle."
À trois reprises j’aurais pu sauver quelques pages d’une telle bibliothèque en n’ayant pas su (ou osé), faire parler des personnages qui ont laissé une trace dans le XXème siècle motocycliste. Parmi eux, Christian Christophe, alias Crius, alias ce Ch2 qui apparut dans Moto Revue en 1952.
Descendant d’émigrés chassés par Richelieu, il était né Allemand mais resté Français de cœur. Tout le contraire d’une autre signature réputée de Moto Revue, le bon Robert Séxé que sa germanophilie poussa à une collaboration, à l’insu de son plein gré, avec l’occupant allemand de 1940.
Les deux hommes se sont connus sans doute lors d'un Salon de Berlin ou encore un peu plus tôt, en 1936 aux Jeux Olympiques de Berlin. En 1937, dans un Moto Revue d’avril, on les voit ensemble sur une petite photo (ci-dessous) confirmant cette rencontre.
Toujours surprenant, Christian Christophe est venu à la rencontre de son ami Robert Sexé au guidon d'une machine qui est probablement de sa construction : une partie-cycle O.E.C. anglaise autour d'un moteur D.K.W. (Photo Moto Revue)
Robert Séxé (c’est l’orthographe en signature de ses premiers articles) a "reporté" ce Salon sur six pages dans trois numéros de Moto Revue.
Titré (grimace du destin ?) "La moto triomphe à Berlin", le premier article est surtout consacré au triomphe… d’Hitler accueilli devant la Chancellerie de la Wilhelmstrasse par les monstrueuses Mercédès et Auto-Union de Grand Prix. Elles sont, s’enflamme alors Sexé, les "ambassadeurs extraordinaires qui ont fait triompher les couleurs de leur pays de la Suède à l’Afrique du Sud ". À...
Dans un décor où, exceptionnellement, ne figure aucun enblème nazi visible, Hitler félicite Ernst Henne dont on voit la machine à compresseur en arrière-plan.
... sept reprises il évoquera le Führer, le Grand Patron ou simplement "Il", en des termes plus proches de ceux d’un militant en extase que d’un journaliste. Au fil des lignes, on lit : "Portant haut, au bout de poings gantés de crispins, la forêt rouge de rigides étendards, la garde d’honneur brune vient, etc". Il décrit aussi "La muraille humaine des S.A. (qui) s’ouvre, (alors que) les aigles d’argent des bannières scintillent", sans oublier de citer les géraniums qui entourent "le buste doré du Führer ".
Le "grand patron" passe en revue des membres du Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (N.S.K.K.). Il est suivi de l'Obergruppenführer Adolf Hühnlein, grand chef responsable des motorisés allemands.
La partie consacrée aux motos exposées dans ce Salon sur deux pages est expédiée en 12 lignes sur les 167 de l'article (un total de 6000 signes), illustrées de quatre photos fournies par les services de presse des constructeurs allemands.
Dans sa conclusion, Sexé revient à lui, utilisant son habituel vocabulaire bucolico-alambiqué, en quittant « Ce temple de la mécanique, cette rotonde sereine qui accueille le visiteur et le plonge dans l’atmosphère voulue, son plus bel ornement, ne serait-ce point les motos de course glorifiées, brillantes parmi les fleurs ? »
PENDANT CE TEMPS…
Autant que les éléments de sa biographie dont on dispose - un feuillet tapé de sa main à la machine - permettent de le savoir, Christian Christophe travaille alors pour (chez ?) D.K.W.
Sa carrière motocycliste a commencé en 1929 par une "course au ballon", un parcours à travers la nature en suivant une montgolfière jusqu’à son atterrissage. Il finit deuxième sur une Indian qui ne tournait que sur un seul cylindre (!).
Quelqu'un d'aussi curieux que Christophe ne pouvait rester insensible au charme d'une hérétique Mégola ! La neige d'hiver ne l'a pas dissuadé d'aller la chercher avec sa Scott attelée d'une plateforme rustique (une lampée de schnapps et ça repart !).
Par la suite, prenant goût à la compétition, il signe de bonnes places, plutôt dans les cinq premiers. Il mène une DKW 2 vitesses dans un winterfahrt qui se dispute par moins 2 à moins 6 degrés. Entre ses mains vont se succéder : Walter 175 Villiers, Rudge 350 TT Replica, New-Hudson, Hercules JAP, Triumph 300 (Triumph Werke Nuremberg), DKW 175 à contre-piston, Rudge 4 soupapes de dirt-track. Il aborde le tout-terrain (en français dans le texte d’une lettre à un ami) avec une Scott 500. Il touche au grass-track sur une Douglas, tout en testant une BMW R5. La liste n’est pas exhaustive !
Dans les archives de Christophe figure cette D.K.W. dont le carter inférieur s'orne d'une excroissance qui trahit un piston-pompe. Peut-être une réalisation personnelle du fertile journaliste-inventeur-dessinateur-pilote-technicien... (Document moto-collection.org)
La D.K.W. telle qu'elle figurait en 1938 au catalogue du constructeur de Zschopau. C'est ce modèle qui a servi de base à l'expérience de Christophe.
JOURNALISTE À DAS MOTORRAD
Ces expériences donnent la matière d’articles, signés , que publie depuis 1930 la revue hebdomadaire Das Motorrad. Dans les quelques numéros que j’ai pu consulter, il s'attache essentiellement à l’amélioration du moteur deux-temps largement utilisé en Europe. Et encore plus en Allemagne où le gouvernement hitlérien a favorisé la petite cylindrée. Il faut amener la jeunesse (Hitlerjugend) à se familiariser avec la simple mécanique afin de lui confier plus tard les grosses machines militaires, motos comprises.
Le NSKK finit par incorporer les jeunes motorisés de la hitlerjugend. Tous furent soumis aux épreuves théoriques et pratiques exigées par le régime nazi, même s'ils n'étaient pas inscrits au parti et possesseur d'une moto.
Quatre pages sont consacrées aux différentes DKW de course dans un article d’octobre 1938, précédé par trois autres pages sur Puissance et légèreté où sont envisagés les différents usages de l’électron. Christophe dessine la suspension arrière d’une moto par anneaux de caoutchouc (24/12/1939), idée qu’il mettra en pratique, avec certaines adaptations, sur ses machines très personnelles (incorrigible !) en France, après la guerre.
Christophe n'est pas qu'un technicien original, il est aussi capable de matérialiser ses idées par le dessin, en prenant comme base le vélomoteur Pony de NSU...
... sans omettre la plus petite des pièces, rondelles comprises ! (Documents Das Motorrad)
Sous un titre, qui pourrait paraître malicieux (on est alors en juin 1940...), il passe en revue dans un autre article les Grossdeutschlands Motorfahrräder (Cyclomoteurs/Pétrolettes de la Grande Allemagne), ces 60 cm3 produites par Panther, Presto, Wanderer, Ardie, Hercules, NSU, DKW, Phänomen et autres Victoria ou… Puch, souvent motorisées par un Sachs !
Parallèlement, il effectue des essais de machines, 125 Phänomen (décembre 1940) ou 250 Triumph (TWN) en août 1941. Il figure alors en troisième place dans l’organigramme (l’ours) de la revue. Il se trouve après le rédacteur-en-chef qui est ‘Dans la Wehrmacht’, et après son adjoint qui, lui, est Im Felde (Au combat), précise cet ours.
(À SUIVRE)