AVERTISSEMENT !
Cet article peut nuire gravement aux lecteurs allergiques à toute question sans rapport direct avec la moto. Plusieurs d'entre eux s'étant manifestés sur mon Facebook (j'ai les noms...), ils sont priés de changer de trottoir au cas où nous serions amenés à nous croiser... physiquement ou virtuellement
DANS LE CONFINEMENT EXTRÊME QU'EST L'EMPRISONNEMENT, survivre, c'est se rattacher par tous les moyens à "la vie d'avant". Dans les camps nazis, certains se forçaient à réciter des poèmes, des passages de certains livres, des musiciens reconstituaient de mémoire des opéras, peintres ou dessinateurs noircissaient des bouts de papiers volés à leurs bourreaux. Ceux qui survécurent ont témoigné par le livre, la peinture, le dessin. Deux dessinateurs-peintres, l'un britannique, l'autre néerlandais ont subi cette épreuve sous le joug féroce de l'occupant japonais. Connu pour son regard satirique, en particulier sur la France où il finira par s'installer, Ronald Searle (1920-2011) s'était engagé dans l'armée anglaise dès le début de la guerre. Envoyé combattre à Singapour, il est capturé par les Japonais et va se retrouver sur le chantier de construction d'une ligne de chemin de fer. Sur 415 kilomètres, il s'agit de relier Bangkok (Thaïlande) à Rangoon (Birmanie) à travers la jungle et des passages montagneux. Plus de 100 000 travailleurs asiatiques et 30 000 prisonniers de guerre alliés (Anglais, Néerlandais, Australiens, etc) devront participer au défrichement d'un territoire hostile. Outre la malaria et la dysentrie, ils souffriront de la faim et des traitements sadiques de la part des militaires japonais.
En troquant avec d'autres prisonniers, Ronald Searle s'est procuré de quoi dessiner car, dira-t-il plus tard : "J'ai pensé qu'il était important d'enregistrer ce qui se passait, même si les dessins n'étaient retrouvés que plus tard". Beaucoup de ces dessins ont pourri dans l'humidité de la jungle, mais il a pu en sauver 300. Il les cachait sous les lits des malades du choléra que les gardiens évitaient d'approcher de trop près.
Plus tard, dans une interview au Guardian, il dira : "Lorsque vous êtes prisonnier dans la jungle, le corps humain devient tellement répugnant que vous ne pouvez vivre que dans votre tête".
"Je me souviens que lorsque nous faisions ce travail d'esclaves on chantait des comptines. C'était stupide et banal, mais c'était la façon d'oublier ce qui se passait autour de nous. Si on avait eu assez d'imagination pour réaliser ce qui nous arrivait vraiment, on serait morts immédiatement. Ce qui m'a sauvé était un manque total d'imagination."
Le cimetière érigé après la fin de la guerre compte près de 16 000 tombes de militaires qui ont péri durant les 18 mois de leur calvaire. Le nombre de victimes parmi les Thaïlandais n'est pas connu, mais il est de plusieurs dizaines de milliers. La ligne ferroviaire à voie unique qu'ils ont construite est toujours en activité. L'un des ponts qu'il a fallu édifier à inspiré Pierre Boulle pour son livre Le Pont de la Rivière Kwaï suivi du film du même titre.
En bon Britannique (et jeune), Ronald Searle ne pouvait ignorer la moto de ses gardiens, même si celle-ci devait être plutôt rare dans ces contrées de jungle et de montagnes. Il en dessinera de moins guerrières et plus colorées lorsqu'il sera revenu à la vie civile.
Toujours en mettant en scène des chats auxquels il a consacré plusieurs livres ainsi qu'à ses gamines anarchistes du Collège de St Trinians, il s'installe en France au début des années 70. Il a beaucoup dessiné sur nous, avec affection mais sans oublier nos travers, tellement visibles pour un étranger. À fortiori pour un Anglais...
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