Pour ceux d'entre vous qui ne liront pas cet article jusqu'au bout, voici l'essentiel en images (ci-dessus) avec les légendes correspondantes. Pour lire celles-ci plus commodément, il vous suffit simplement de retourner votre écran d'ordinateur à 180 degrés...
Dernier groupe au départ formé par les sidecars toutes cylindrées avec les solos de 350 et moins ainsi que les vélomoteurs. On reconnaît le side 600 Triumph de Minot (n° 67) avec, derrière lui la D.F.R. de Pierre en conversation avec (semble-t-il) Eugène Mauve qui n'a pas encore ses célèbres culottes de golf. À côté d'eux, Toussaint (n° 34) sur Supplexa. Le dernier side visible derrière Pierre est celui de Roggero (D.F.R.- Bradshaw). À l'extrême-droite, le sidecar non identifié pourrait être celui de Vulliamy (Harley-Davidson). Ce Bol a été un grand succès sportif mais le public ne s'y est pas rué comme en témoigne la tribune officielle alors que le départ de l'épreuve est imminent. Pourtant, et contrairement à Vaujours où s'est disputé le premier Bol d'Or, celui des Loges est près de la ville et desservi par le chemin de fer à quelques centaines de mètres.
Si vous avez bien suivi le cours, inutile de vous présenter le vainqueur de ce Bol dont la victoire a été largement proclamée dans l'épisode précédent. Proclamée également dans la presse spécialisée au moyen de la publicité. Sur les 64 pages de son numéro rendant compte de la course, Moto Revue a passé l'équivalent de 12 pages 1/4 publicitaires auxquelles s'ajoutent celles qui concernent les cyclecars. Dans La Revue Motocycliste on trouve 16 pages de pub (dont une double de Rovin) sur 42 pages au total. Moins bien implanté, et surtout d'une très médiocre qualité (papier et impression pire que dans Moto Revue...). Motocyclisme n'a récolté que 6 pages 3/4 sur les 36 de son numéro.
Avec sa Motosacoche modèle "Sport" Tony Zind (ci-contre, croqué par Geo Ham) a tout de même dû batailler ferme contre une concurrence inattendue, toute jeune et qu'on n'attendait pas à pareille fête. Inattendue car française. Du moins dans l'intention. Ce que ne manquait pas de souligner le journaliste de Cyclecars, Motos & Voiturettes qui présentait la Pierton nouvelle venue : "Je ne dirai pas que la Pierton est une belle machine française : belle, elle l'est, française c'est moins sûr". En effet, la 500 Pierton du Bol est motorisée par un britannique JAP latéral accouplé à une non moins britannique boîte à 3 vitesses Burman.
UNE FINITION EN CLIN D'ŒIL
Une fourche Druid complète cette construction dont la présentation avec son réservoir "couleur argent avec filets noirs" n'est pas sans évoquer certaine marque britannique renommée. Une équivoque renforcée par le nom de marque choisi qui pourrait se prononcer avec un final en "tonne" plutôt qu'en "ton"... Cette Pierto...ne est l'enfant d'une collaboration d'Adrien Piermé avec Gaston Durand. Ce dernier, motoriste bouillonnant d'idées qu'il prodiguait généreusement, attachera son nom à de multiples réalisations dont les plus connues sont chez Alcyon ou Gnome-Rhône. Il dispensera abondamment sa science autour des Ydral-Agache vers la fin de sa carrière. De son côté, après cette brève association avec Durand, Piermé produira des machines à son nom équipées de moteurs Madoz puis des JAP (le AZA deux temps) de plus petites cylindrées (175/250 cm3).
Publicité Pierton (extrait) dans Moto Revue n° 118 de 1923
La Pierton est présentée au public... du Salon de Bruxelles au début 1923. Son moteur est un Madoz à culasse alu (ou bronze selon les sources). La fourche est une Webb. Pas de photo alors et la première image qui paraît dans Moto Revue en février 1923 (ci-dessus), montre une machine finie à la hâte : pas de garde-boue avant, l'unique frein est sur une poulie-jante arrière, une pompe à huile est greffée le long du réservoir d'essence mais on cherche en vain le réservoir pour ce lubrifiant. Vendue pour 120 à 125 km/h elle est proposée à 4 500 francs. C'est déjà une belle somme qui en fait l'une des plus chères des machines françaises, derrière l'ABC-Gnome Rhône (5 950 F) et la René Gillet 750 (4 850 F) qui, toutes deux, sont des bicylindres, l'une étant à soupapes en tête.
Le 500 latéral Madoz s'inscrit bien dans la tradition britannique du monocylindre longue course, l'exagérant même avec ses 112 mm pour 75 d'alésage. Sa puissance est inconnue, mais on peut se risquer à l'évaluer par comparaison avec celle de la Motosacoche (13,5 ch en version d'origine), machine qui sera sa grande rivale dans le Bol d'or... En théorie, car il semble bien que c'est le JAP qui a été choisi selon ce qu'écrivait Cyclecars, Motos & Voiturettes que l'on retrouve ci-après...
... en illustration du texte de présentation de la Pierton. Signé B. Helpey (pseudonyme plus que probable), il y est précisé que les moyeux sont des Webb munis de freins à tambour. Le frein avant (qualifié parfois de "frein du désespoir") gagne donc du terrain car, ajoute un péremptoire B. Helpey : "Des expériences retentissantes, faites récemment en Angleterre, ont affirmé la nécessité absolue d'un frein avant énergique sur une machine rapide : lorsqu'on a appris à s'en servir (sic), on le préfère rapidement au frein arrière".
Quelques mois plus tard, nouvelle photo et nouvelle version d'une Pierton préparée, celle-ci pour le proche Bol d'or (ci-dessus). Beaucoup de changements, à commencer par le moteur qui est un JAP, toujours à soupapes latérales. Lubrifié par barbotage selon les gazettes, il reçoit néanmoins un réservoir d'huile alors que la pompe fixée précédemment au flanc du réservoir d'essence a disparu. Boîte 3 vitesses Burman. La fourche est une Druid "sous licence" nous dit-on et les roues sont munies des freins à tambour annoncés. Avec leurs dimensions plutôt minuscules, ils sont conformes aux canons de l'époque.
D'autres machines concurrentes pouvaient prétendre à la victoire ou, du moins, à une bonne performance. Passons sur les ABC-Gnome des "officiels" Naas et Bernard qui ne seront pas au départ. La marque qui s'était investie dans un récent Tour de France, n'aura qu'un seul représentant d'ailleurs "fictif". C'est Lambert dont le statut "amateur" ne permet pas que le nom de sa machine soit cité alors que les gazettes vendent la mèche dans les légendes des photos de lui qu'elles publient. Lambert (sur... Lambert) finit donc troisième à 21 tours de Zind le vainqueur (241 tours) et devant Camille Parizet, l'un des deux pilotes sur Pierton. L'autre était Henri Laurent qui, dès la première heure, s'est distingué en pirouettant dans le fossé ! Il réparera dans son stand afin de repartir pour 147 tours, mais sans espoir d'un bon classement. Son co-équipier menait sa machine à "de triomphants débuts", selon La Revue Motocycliste, débuts récompensés au final par une... modeste 4ème place alors qu'il était en tête le dimanche à 9 h du matin ! Endommagé dans une chute, le carburateur du JAP l'avait forcé à "réduire la sauce", laissant le champ libre à la bicylindre suisse. Il a eu néanmoins l'honneur de signer le record du tour avec 4 minutes 20 soit à un vertigineux 80,681 de moyenne, à comparer avec la moyenne générale de Zind victorieux à 58,500 km/h sur les 24 heures.
Au Grand Prix de France de l'U.M.F. disputé à Tours le 24 juin, deux Pierton seront encore engagées. C'est l'occasion d'en voir le côté transmission (Photo © Gallica-BNF) présenté ici par Vandenbosche, lequel ne pourra pas prendre le départ pour "défaut d'attestation d'assurance" ! ? L'autre pilote est à nouveau Parizet qui renouvelle l'exploit de Laurent au Bol d'or. Il chute au premier tour et repart avec un cadre faussé mais la machine est devenue inconduisible, et c'est l'abandon forcé au 2 ème tour.
Vendeur à l'agence parisienne Triumph du boulevard Pereire quoique Anglais bon teint, Leslie Pinney était un assidu des grandes épreuves d'endurance. Après l'éprouvant Paris-Nice, sa présence au départ du Bol était donc toute naturelle.
Leslie Pinney au pesage frigorifiant de Paris-Nice 1923 (16 - 20 février). © Gallica-BNF.
Comme pour la majorité des concurrentes, sa machine est une monocylindre à soupapes latérales très proche de la célèbre Type H qui a gagné sa réputation de "Trusty" dans les ornières boueuses de la Grande guerre. Une transmission par chaîne, une fourche Druid et quelques retouches esthétiques l'ont modernisée. Mais elle n'a toujours qu'un frein arrière sur poulie-jante et un modèle à étrier sur la jante avant. Sans jamais être aux avant-postes durant les 24 heures du Bol d'or, Pinney (à droite lors d'un pesage) va tracer son chemin régulièrement n'ayant connu que des incidents mineurs. Les diverses avaries qui frappent les hommes de tête vont le porter à une deuxième place aussi bienvenue que méritée au vu de ses performances précédentes.
L'autre marque britannique "dangereuse" était la Norton, encore une latérales, au palmarès déjà bien chargé en victoires de toutes sortes, nationales ou internationales. Pourtant engagé sur l'une de ces 500 réputées "Unapproachable" dont il est l'agent, Bastide s'est présenté au départ sur une O.E.C. Blackburne. Mauvaise pioche car il sera éliminé sur une rupture de soupape tandis que sur l'autre Norton, René Francisquet vole vers la victoire. En tête avec plusieurs tours d'avance sur Zind dans la matinée du dimanche, une chute ruine cependant tous ses espoirs au point qu'il ne figurera même pas dans le classement final ! Croqué à droite dans La Revue Motocycliste par le dessinateur H.J. Lecoq, on le voit à gauche photographié (© Gallica BNF) au départ du G.P. de Tours 1923 sur sa Norton. Comme à son habitude, il arbore chemise blanche et cravate protégées par une combinaison de mécanicien en toile. Le cuir n'est pas encore très répandu et Pierre (de Font-Réaulx) fera son petit effet en se présentant un jour dans une tenue cuir, veste et pantalon d'un rouge éclatant !
Prochain article : les autres courses depuis les 350 jusqu'aux "infiniment petits".