IL EST RARE QU'UN ÉDITEUR DE BANDES DESSINÉES donne ses motivations en présentant une nouvelle série de 'fumetti' à ses futurs lecteurs. C'est donc en Italie, en 1975, que la société milanaise PUBLISTRIP annonça ses intentions en ajoutant un nouveau titre à une collection qui en comptait déjà plus d'une douzaine. Mais, rien qu'à la lecture des titres édités précédemment, on comprend qu'il était nécessaire de prévenir le lecteur. À côté des 'fumetti neri' (Kriminal, Terror, Outre Tombe et autres...
... Satanik destinés à faire frissonner le lecteur (et plus si affinités), ce nouveau venu annonçait la couleur sous un nom banal : Il Montatore. Selon son éditeur qui s'exprima sur une demi-page du premier numéro de juin 1975, il sera "au plus près de la société dans laquelle nous aimons, nous travaillons, nous souffrons (...), sans oublier la politique (...). Nous ferons un 'fumetto' populaire, facile à lire, fluide, sain, sans hypocrisie." (extrait traduit à la louche)
1978 - Arrivé en France, ce trop banal "Monteur" d'cheu nous n'aurait pas eu l'arrière-plan sexy, la salacité qui était la sienne en Italie (monteur de machines/monteur de femmes). Alors il change de passeport et devient PROLO par la grâce de Georges Bielec, créateur des éditions Elvifrance.
Les esthètes ont reconnu ici la "patte" du grand Milo Manara
Il va être le "héros" de l'une des quarante-douze-mille publications d'Elvifrance, ces PFA (Petits Formats Adultes) qui, selon les périodes furent proposés au total sous 200 titres (!) différents dans les kiosques et librairies français. Pour rafraîchir la mémoire de quelques uns d'entre vous, on citera les plus connus Sam Bot, Salut les Bidasses et les Maghella, Contes malicieux et autres Jacula. Sans parler des sous-titres accompagnant chaque volume : Un prudent Zézette y côtoie Le quart de beurre américain, tandis que Banane mécanique suit l'actualité cinématographique et que Brigitte fait chaud, fait chaud ! suit celle de la discophilie. Plus énigmatique, il y a Dard ou bousbir, il faut choisir et En pastiquant la maltouze, carrément ésotérique, mais beaucoup moins qu'un très bref et simple Merde !
On tape 'Elvifrance' sur son clavier pendant que les Maman regardent ailleurs
Plus répressive qu'en Italie où ces publications étaient "Vietato ai minori di 16 anni", la France avait voté le 16 juillet 1949 une loi sur les publications destinées à la jeunesse. Plusieurs organismes réclamaient cette loi dont le puissant Cartel pour l'action sociale et morale, dirigé par Daniel Parker, qui s'était distingué en intentant un procès à Boris Vian pour son livre 'J'irai cracher sur vos tombes'. Ce Parker sera ensuite écarté après la découverte par un détective privé, missionné par Gaston Gallimard, de son goût pour les garçons mineurs..
La gauche communiste n'était pas en reste. Elle s'exprimait déjà en 1938 par la plume du critique de cinéma Georges Sadoul lui-même directeur de Mon Camarade, un journal illustré : ' Nous estimons (...) que les cerveaux de nos fils et de nos filles doivent recevoir d’autres aliments que des appels au meurtre et à l’érotisme, à l’esclavage (...) qu’il convient de barrer la route à l’invasion fasciste étrangère dans le domaine de la littérature pour les jeunes'. Après la guerre, L'Union des femmes françaises (mouvance du PC) repart à l'assaut : 'Nous demandons (...) que nos librairies soient débarrassées des publications immondes dont nous abreuve l’Amérique, et qui risquent de ternir la fraîcheur et la pureté de notre jeunesse'.
UN "JOKER" INATTENDU
Il est plus étonnant de trouver dans cette croisade... Jean-Paul Sartre et sa revue politico-littéraire Les Temps Modernes. Dans son numéro 118 de 1955 parurent des extraits du livre "Seduction of Innocent", œuvre d'un psychiatre américain du nom de Fredric Wertham qui faisait alors polémique dans son pays. C'était une violente attaque des 'comics', accusés de propager la culture de la violence, de la drogue, de l'assassinat, du viol. F. Wertham basait l'essentiel de sa démonstration sur des entretiens avec les jeunes délinquants recueillis dans sa Clinique psychiatrique Lafargue à Harlem. Une majorité de ces jeunes ayant déclaré être des lecteurs de 'comics', le bon docteur en concluait que les 'comics' engendraient le crime. CQFD.
L'invasion 'fasciste' invoquée par les uns et les autres était celle des illustrés américains diffusés en France, dès l'avant-guerre, tel Le Journal de
Mickey puis Donald ou Tarzan. Ce qui privait de ressources autant de dessinateurs français. Une bonne louche d'anti-américanisme politique (U.S. Go Home) là-dessus créa une coalition anti-illustrés. Ce fourre-tout permettra plus tard de poursuivre aussi bien Fantax (son créateur Pierre Mouchot, alias Chott, échappa de justesse à la prison !), que V Magazine (berceau de Barbarella), ou encore de faire des misères à répétition au trio d'éditeurs rebelles Eric Losfeld ou Jean-Jacques Pauvert et Régine Deforges.
Les plus grands de la BD n'étaient pas à l'abri et se faisaient ramasser par la patrouille pour les motifs les plus inattendus. Ainsi du gentil Marsupilami accusé d'émettre des 'sons inarticulés' (!), un Buck Danny dut cesser de combattre en Corée et dans un Lucky Luke la mort de Bob Dalton fut zappée sans explication. Peu à peu, harcelés, les dessinateurs ou plutôt leurs éditeurs, finiront par s'auto-censurer.
FORZA ITALIA !
À partir de 1946, l'apparition dans les kiosques de Intimité et Nous Deux, rappela que l'Italie était depuis longtemps un creuset d'artistes de l'image dessinée et du roman-photo. L'époque mussolinienne y fut pour beaucoup car le régime exigeait des éditeurs qu'ils publient un maximum d'artistes italiens. Au point d'éradiquer pratiquement la plupart des bandes d'origine américaine en formant au milieu des années 40 une jeune génération d'artistes chouchoutés par des éditeurs ambitieux. De nouvelles formules de magazines parurent en France, faisant la part belle à l'image, photographique ou dessinée.
⇐ Spectaculaires pignons d'immeubles peints à Paris
On allait y retrouver des dessinateurs italiens dont Ferrari, Molino et, surtout, Angelo di Marco. Son père, immigré de longue date, était spécialisé dans la peinture des publicités sur les pignons aveugles des immeubles parisiens. Moins acrobate, son fils Angelo se fit un nom dans l'illustration toutes catégories, au lavis sur papier. Il est connu pour ses couvertures de Radar (Radar était là !), aux angles cinématographiques, ses illustrations de romans, ses bandes dessinées quotidiennes. Il arrivait à mener de front tous ces travaux en jonglant avec les horaires de "bouclage" de ses différents employeurs. Parfois il fallait le mettre sous clé dans un bureau (authentique) pour obtenir qu'il termine une illustration d'un fait divers
Un drame de l'aéronautique que seul Angelo Di Marco pouvait voir sous cet angle ! ⇒
attendue "pour hier" ! Sans doute par mesure de décompression il a commis, ce qui est moins 'public'deux ou trois albums érotiques où son sens de la composition produisit d'improbables situations kamasoutresques. Il rejoignait ainsi un abondant courant italien né dans les années 70 qui proposa un cinéma érotique "soft" et surtout des 'fumetti' du même métal, quoique pas tout à fait.
DE LA TOILE AU PAPIER
À l'écran, on verra certaines grands noms jouer dans des productions indignes de leur talent (mais il faut parfois payer ses impôts)... D'autres ont succombé aux charmes de la "dolce vita" tandis que d'autres encore obéissaient aux ordres des maisons de production qui les "tenaient" par contrat. Sinon, comment expliquer autrement une Ursula Andress en infirmière que l'on devine "particulière", ou un Jack Palance maniant le glaive dans "La vendetta dei barbari". Même un Toto, le Louis de Funès italien, est devenu "sexy" !
"Salut les bidasses" semble avoir eu son équivalent au cinéma, tandis que Toto dut se plier aux caprices d'une certaine Dodo d'Hambourg (Dorotea Slavinsky) ancienne élève du Crazy Horse Saloon. Quant à Ursula "L'infirmière", elle n'a pas retrouvé le succès conquis 10 ans plus tôt grâce à James Bond (Docteur No).
PROCHAINEMENT SUR CET ÉCRAN :
PROLO - Sa vie ! Ses motos ! Son œuvre !