QUELQUES "VRAIS" AMATEURS DE MOTOCYCLETTES s'étant émus de ne trouver que trop peu à se mettre sous les yeux, on va commencer bille en tête. Façon Spidy Gonze à l'aise, on balance une couverture aussi motocycliste que possible (SVP : on regarde la moto !)
Cette scène de couverture à son équivalent en pages intérieures (ci-dessous). On y voit que Spidy n'est pas un vulgaire arracheur de sac à main des vieilles dames, il se venge d'avoir été snobé par la secrétaire d'Anatole, le patron de la Chtrop. Mais on les retrouvera plus tard après une réconciliation sur l'oreiller.
Ce genre de réconciliation est l'une des spécialités de Spidy usant du "charme" de sa morphologie "siffrediesque" qui provoque d'abord la curiosité des dames (et plus) avant l'extase. Démonstration par quelques morceaux choisis.
Contrairement à ce que vous pourriez penser, ces scènes ne sont pas faites pour énerver la libido du lecteur. Non !... (pas seulement). Le strip-tease motocycliste précédent va mener Spidy à Marseille. Le temps d'y séduire une jeune beauté noire, dont il apprendra que c'était la princesse Amine Radada (arf !). Ensuite, escale en Turquie. Jeté en prison, il est racolé à sa sortie par une "artiste" dénommée Lilipute qui ressemble à l'impératrice iranienne Farah Pipa (!). Il arrive enfin à Téhéran où il doit récupérer Dufilou le secrétaire général de la Chtrop. Disparu des radars, celui-ci devait négocier un gros contrat de construction d'une centrale thermique (On fait dans le sérieux, ou pas !). Surpris par Spidy en compagnie de deux
Le bord d'un lavabo suffit à Spidy toujours prêt à profiter de l'occasion, sans se soucier du confort de sa partenaire, même s'il s'agit d'une princesse ! ⇒
houris persanes, Dufilou prétend avoir un rendez-vous de travail - et plus si affinités - avec Farah Pipa. Spidy prend sa place au lit et voit arriver... Lilipute ! Elle négociait pour une entreprise rivale de la Chtrop, mais convaincue par Spidy, elle change de camp. Et la Chtrop remporte le contrat de 10 millions de dollars ! Dans plusieurs épisodes, Spidy défend la Chtrop contre les japonais qui ont posé un micro-espion sous le bureau d'Anatole le PDG ; pots de vin dans la construction de navires par les Chantiers navals. Spidy découvre des documents qu'il apporte au Conard Déchaîné.
Et si ses collègues de travail l'accusent de travailler pour les patrons, lui les traite de "couilles molles" et qu'il ne fait que sauver les outils de travail des prolétaires. Dans les 56 épisodes de Prolo (la série italienne Il Montatore en comptera 114 !), le dessinateur montre toujours Spidy sur une Moto Guzzi. Patrimoine italien oblige ! Rares exceptions lorsqu'il va voir un ami mécano au travail sur une Honda coursifiée et trois cases plus loin on aperçoit une Gilera. Lors d'une virée aux États-Unis, il utilise une moto d'emprunt non identifiable.
SUR LES TRACES DE MARTINE
En relisant à la suite tous les Prolo (par conscience professionnelle...), on a la sensation de revisiter la série célèbre des "Martine" (Martine à la plage, Martine fait du cheval, Martine est malade, etc). On a ici la même méthode à peine plus développée avec, pour "respirer", les intermèdes érotiques. Ainsi, lorsqu'il ne défend pas la Chtrop, on a : Spidy dénonce les pots-de-vin dans l'affaire Lockheed, Spidy chasse les terroristes qui tentent de faire dérailler un train, Spidy démantèle un trafic de cassettes audio (on est en 1980), Spidy s'attaque à des voleurs de voitures de luxe destinées aux émirs des pays du Golfe, Spidy affronte les requins de l'immobilier qui chassent les habitants d'un quartier pour bâtir à la place un centre commercial.
À LA RENCONTRE DU BEAU MONDE
Au hasard de ses voyages, il croise des "people", par exemple un Niarkul qui a tout de Stravos Niarchos, l'armateur grec milliardaire. Il a une aventure avec Jackie Kennedy. L'une de ses copines connaît Frank Sinatra. Sous le nom de Doudou Meng figure le "milliardaire rouge", alias Jean-Baptiste Doumeng qui fit fortune dans des échanges commerciaux avec le régime soviétique
Stravos Niarchos (ci-dessus, le faux puis le vrai) qui fut l'un des rares personnages à pouvoir soutenir la comparaison avec l'autre Grec célèbre : Aristote Onassis. Lequel marquera un point décisif en épousant Jackie ex-Kennedy (à droite ci-dessous).
Frank Sinatra ne figure qu'en effigie (à gauche) mais il n'en sera pas moins efficace dans la libération de Spidy embarqué sur méprise par la police de New-York !
Parlant des hommes politiques corrompus, un camarade de Spidy s'exclame : "C'est des militaires qu'il faudrait au pouvoir pour nettoyer tout çà !". À quoi Spidy rétorque : "Ceux-là on sait comment ils s'installent quelque part, mais pour les voir barrer, macache !".
Peu après Spidy a l'occasion de conforter son opinion. Envoyé dans un pays d'Amérique du Sud dirigé par un certain Pino Chet, il y déclenche une révolution qui chasse le dictateur (rebaptisé Pino Chié... c'était trop tentant !). L'occasion pour le dessinateur de camper un militaire qui ressemble assez à un autre bouffon criminel qui régna sur l'Italie.
Allergique à l'uniforme militaire, Spidy l'est aussi à celui des religieux. D'ailleurs, à la question de l'une de ses "connaissances" qui demande : "Serais-tu anticlérical ?, il répond clairement : "Çà, pour sûr !". Il faut dire qu'il a ses raisons, sinon de les détester, du moins de s'en méfier de ces chargés d'âmes. Il rencontre le premier dans un château où, selon les préceptes de l'Abbaye de Thélème (Rabelais) sont accueillis "des femmes belles, bien formées et bien nées ; et les hommes beaux, bien formés et bien nés".
Tout ce beau monde formant, moine compris, ce qu'il est convenu d'appeler "une famille tuyau de poële" (voir la Bible : Loth et ses filles). En plus de la drogue qui y circule, le moine trempe dans une énorme escroquerie à la T.V.A. Poursuivant son enquête, Spidy débarque dans la somptueuse demeure avec piscine d'un autre prêtre.
Celui-ci magouille aussi dans la T.V.A. au détriment des populations affamées de la Somalie. Au cours d'une trempette dans la piscine, l'homme d'église se montre un peu trop entreprenant à l'égard de Spidy, lequel ne doit son salut qu'à une rapide retraite à moto !
C'est sans doute sous le coup de l'émotion que de 4 cylindres double ACT, la Benelli-Guzzi a pris des allures de "teapot" Suzuki 3 cylindres deux-temps. Pour preuve supplémentaire, ce que crachent les échappements ! L'image de droite est un projet de couverture de Milo Manara qui se rattache sans doute à l'une des histoires où apparaissent des "monsignori". Le geste de Spidy est sans équivoque...
Publicité italienne Suzuki des années 70 : avec une copine de Prolo ?
Il est vrai qu'elles se tiennent aussi mal lorsqu'elles sont sur la route que lorsqu'elles posent dans la calme d'un studio photos.
Les numéros de Prolo se succèdent, multipliant les scénarios. Spidy sauve des immmigrés du Libéria aux mains de passeurs cupides, Spidy met fin à un racket de la mafia corse (Sicilienne en VO italienne), Spidy vend des armes inutilisables à un potentat africain, Spidy sauve des prostituées esclaves de souteneurs yougoslaves.
Peu à peu les astuces vaseuses se raréfient, les Marchiez Dedans, Segui Guignol, Mourouzizi se font plus rares, mais pas les scènes torrides qui sont tant bien que mal édulcorées par divers moyens.
Noyées dans une obscurité barbouillée in-extremis, les mains s'agitent dans le vide. Il arrive aussi que le retoucheur oublie son boulot et laisse en plan (et en blanc) une scène qui en devient peu compréhensible (ci-dessous, à gauche), tandis que...
... le (très) gros plan (85 mm x 105 mm, une demi-page) qui laisse tout à l'imagination du lecteur-trice permet de bien évoquer l'action en cours.
Malgré ce permanent jeu de cache-cache, Prolo est de plus en plus menacé par la censure, comme les autres titres édités par Elvifrance. Les interdictions pleuvent avec régularité dans l'indifférence la plus totale des confrères de l'édition ou de la presse (sauf Delfeil de Ton dans Charlie Hebdo), tout comme les réapparitions des mêmes histoires et personnages sous des titres différents. À partir du numéro 42, un nouveau personnage nommé Gus partage les pages de Prolo, avec son propre dessinateur.
Avec lui, un pas est franchi vers la LIBERTÉ et... la MORT PROCHE. La liberté, ce sont des coïts, fellations et sodomies très "explicites" selon l'hypocrite terminologie actuelle. De plus, fini la moto car ce Gus ne se déplace qu'avec un camion. En Italie, il aura d'ailleurs son PFA à son nom : Il Camionista. La mort, c'est la disparition de Prolo, au moment où il avait trouvé un nouveau dessinateur un poil plus talentueux.
Non, il ne s'agit pas du nouveau dessinateur de Prolo, mais d'une œuvre érotique de Picasso parmi plusieurs dizaines du même genre réunies dans un livre et que l'on peut voir sur le vouèbe. Elle est datée de 1968, donc contemporaine de Prolo, mais elle n'a pas agacé les ciseaux de la censure de l'époque. Il est vrai qu'elle ne s'adressait pas à la même clientèle. Il existerait donc un érotisme des pauvres, hard et brut de décoffrage (sur papier-chiotte) qui ne vaudrait pas celui des riches, raffiné et élitiste... sur beau papier. Les 36 positions ne seraient donc pas toutes les mêmes ?
Milo Manara rend hommage à la "vraie" Moto Guzzi en couverture, mais en pages intérieures, le tâcheron de service s'en tient à la 4 cylindres "Guzzi De Tomaso".
Ainsi disparut après 46 prestations un personnage rare, peut-être unique, dans l'univers de la BD française. Spidy était phallocrate, hâbleur ("Je suis trop beau, il faut que je me crève un œil !"), menteur, truqueur, mal embouché, raciste à ses heures, un peu homophobe, prêt à tout pour abattre un patron véreux (souvent en séduisant d'abord sa femme), grande gueule en lutte contre l'État et ses obligations (taxes, fisc, voire Code de la route lorsqu'il est sur sa Guzzi). Bien que de tendance communiste (autour de lui on lit L'Unita quotidien du PC italien), il critique vertement les consignes syndicales.
On peut l'accabler de tous les péchés de la terre, mais il est toujours prêt à sauver des pauvres (pas seulement des femmes), des expulsés, des clochards, des prostituées, des immigrés, des veuves escroquées. Toujours en première ligne pour défendre le monde ouvrier... qui ne lui en est pas toujours reconnaissant ! Il n'y en avait qu'un comme lui !
On ne se quittera pas sans rendre hommage à Lando Buzzanca qui inspira Prolo (à moins que ça ne soit l'inverse ?) et fit carrière dans quelques films mémorables dont cet The Eroticist. En voici le résumé dans une fiche de présentation trouvée sur un site italien : "Un candidat au poste suprême de l'Etat italien, sur lequel on exerce un chantage à cause de ses penchants sexuels, arrivera tout de même à ses fins, grâce a l'aide de la mafia et de l'épiscopat..." .
Si Prolo avait été au courant, sûr qu'il aurait tout fait pour empêcher çà !
Pour en savoir plus sur PROLO et les autres publications Elvifrance, des livres et articles :
- L'Histoire d'Elvifrance, par Bernard Joubert. Le Collectionneur de BD numéros 78 et 80 (1995 et 1996)
- ELVIFRANCE pour le meilleur et pour le pire. Pulsions Graphiques, par Christophe Bier (2018). 480 pages au format 16 x 20, dont plus de 400 présentent les couvertures de divers titres Elvifrance, avec quelques unes de Prolo. Là, ça tape dans le dur.