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Le Japon explore son passé motocycliste (5)

Le Japon explore son passé motocycliste (5)

PARMI LA DOUZAINE de constructeurs japonais qui ont dominé le macadam nippon dans les années de l'après-Hiroshima, l'un des plus anciens est Meguro dont la fondation remonte à 1924. Lorsque cette année-là Murada Nobuharu créa la Meguro Manufacturing Company, il n'avait pas l'ambition de construire une moto comme plusieurs avant lui l'avaient fait en y laissant leur chemise. Cependant, son idée avait un rapport avec les motos qui - quoique rares - roulaient dans l'archipel nippon. Mais il s'agissait de machines importées d'Europe ou des États-Unis. Rares et surtout extrêmement chères, ce qui les rendaient précieuses pour leurs propriétaires. Apprenti dans un garage importateur, Ozedi Idekichi se souvient que son patron avait passé commande de 10 Brough Superior qu'il devait vendre 2000 yens dans un pays où le salaire moyen était de 7 à 10 yens mensuels ! "On a dû en vendre une ou deux", ajoute Ozedi Idekichi... Il pouvait arriver, surtout à l'époque, qu'une moto tombe en panne et se posait alors un grave problème de pièces de rechange dans les cas les plus aigus. Commander une pièce à l'étranger, s'assurer que cette commande était bien réceptionnée entraînait des échanges de courriers hasardeux tandis que la livraison de la pièce demandait ensuite trois mois de transport maritime. Si bien qu'une machine pouvait rester à l'arrêt pendant une moitié de l'année ! Murada s'associa alors avec Suzuki Köji et, installés à Tokyo, ils seLe Japon explore son passé motocycliste (5) lancèrent dans la réparation automobile et la fabrication de pièces de rechange pour les motos Triumph. Ils produisaient aussi en sous-traitance diverses fournitures (transmissions) pour le compte de constructeurs de véhicules divers surtout des trois-roues motorisés. Ceux-ci étaient très répandus dans un pays sans moyens de transports publics et doté d'une réseau routier calamiteux (en 1945 seulement 19 % des grandes routes étaient goudronnés).

L'AVENIR APPARTIENT AUX AMBITIEUX (dicton japonais...)

Petit à petit, l'appétit vint aux deux associés de Meguro qui, en 1932, s'attelèrent à la fabrication d'un moteur 500 cm3 pour le compte de la Hamakura Motor Company. Puis vint en 1937 la première vraie motocyclette  Meguro "All japanese made", une 500 culbutée dont le moteur rappelle furieusement celui de la Motosacoche de même cylindrée (photo ci-dessus). Ce moteur se retrouvait aussi sur plusieurs autres marques européennes, par exemple chez Monet-Goyon ou New-Map en France. Si bien qu'on ignore si Meguro en avait acquis honnêtementLe Japon explore son passé motocycliste (5) la licence de fabrication ou s'il s'agit d'une copie pure et simple sans autorisation... Avec ses 15 ch, le Motosacoche type "Jubilée" était un excellent choix, mais la carrière de cette Meguro Z 98 (*) cesse brutalement en 1941, au moment de l'attaque sur la flotte américaine de... Pearl Harbor le 7 décembre ! Entretemps, une dizaine d'exemplaires auront été livrés au très convoité marché représenté par la police municipale de Tokyo. Preuve que c'était une moto bien née, elle reprendra du service après la capitulation du Japon le 2 décembre 1945. (*) Pendant la guerre, les plus importants constructeurs de motos - dont Meguro - travaillèrent pour l'armée impériale, fournissant armement, munitions et un sidecar 1200 cm3 à roue tractée baptisé... Z 97. Le dessin ci-dessus le représente dans une version peu "militarisée", sans doute en illustration d'une notice de montage d'une maquette (de l'après-guerre). En opérations, la caisse du sidecar supportait un fusil-mitrailleur ou une mitrailleuse plus... meurtriers que le sabre de ce passager.

Le Japon explore son passé motocycliste (5)

Apparemment restée "en état d'origine", une Meguro Z 98 (photo Minkara.carview.co.jp)...

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...identique au silencieux près au modèle sorti en 1937-1941.

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 La Z des années d'après-guerre était également disponible en attelage. Comme sur la photo en couleur ci-avant, le garde-boue avant paraît être "accidenté" mais il ne s'agit que d'un élargissement en éventail pour améliorer la protection des pieds du pilote.

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LA PRODUCTION RÉTABLIE dans les premières années de l'occupation du pays vaincu est extrêmement contingentée. L'essence, les lubrifiants, le caoutchouc, l'acier, les pneus sont délivrés au compte-gouttes. Pourtant le GHQ américain (Grand Quartier Général) qui "coiffe" le gouvernement a décidé de privilégier les grosses cylindrées aux dépens des bicyclettes à moteurs et autres scooters (considérés comme étant des jouets !) pourtant accessibles aux catégories de population peu fortunées. Les "grosses" sont destinées aux forces de police, aux pompiers, aux professions médicales, etc , ce qui toutefois ne constitue pas un parc important.

La production totale était de seulement 470 deux-roues en 1946 (hors bicyclettes motorisées) et n'atteindra que 9803 véhicules en 1950. La Meguro Manufacturing Company va alors, comme beaucoup d'autres industries, profiter du boom économique que va déclencher la Guerre de Corée (1950-1953), photo ci-dessous. Le Japon explore son passé motocycliste (5)Le GHQ doit lâcher du lest sur le régime de restriction qu'il a imposé car il a un besoin urgent de matériels pour épauler l'Amérique et les Nations Unies engagées contre la Corée du Nord. La production de camions devient une priorité, entraînant parallèlement une ouverture vers une motorisation plus large. Le MITI japonais (Ministère du Commerce International et de l'Industrie) et le Ministère des Transports assouplissent le contingentement des carburants. Ces mesures visent surtout à faciliter le développement de l'automobile, oubliant au passage les deux-roues qui vont néanmoins en profiter. La Midget Motor Manufacturer's Association qui regroupe les constructeurs de deux et trois-roues voit ses effectifs bondir de 23 membres en 1952 à 150 en 1955. Même si beaucoup d'entre eux ne sont que de simples assembleurs, le chiffre est significatif. 

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En 1953 paraît un nouveau modèle Meguro culbuté en 300, 350 et 500 cm3 qui sera le creuset d'une lignée de machines dans la décennie qui s'annonce. À première vue, il s'agit, dira-t-on encore, d'une copie d'européenne. Plus précisément d'anglaise. Sauf que pas du tout. Le haut-moteur avec ses tunnels de tiges de commande des culbuteurs ressemble bien à celui de plusieurs motos anglaises, mais en dessous le carter enfermant les commandes de magnéto (chaîne) et de dynamo (pignons) est tout à fait personnel. Son dessin en forme de cœur ne se retrouve que sur... une autre japonaise (Pointer 150) et sur les vertical-twins Triumph, BSA et autres Ariel. La boîte est séparée avec un sélecteur à droite, l'échappement utilise deux tubes chromés, vestiges d'une mode des années 30. C'est aussi une ironie de l'histoire car, du fait de la guerre de Corée, les constructeurs anglais ont dû réduire l'utilisation du chrome sur leurs propres machines... Les suspensions sont classiques et, semble-t-il sans la moindre trace d'hydraulique. Un "crevé" de cette machine montre deux ressorts dans la coulissante arrière, l'un au-dessus de l'axe de roue, l'autre au dessus, façon Motobécane de l'époque... 

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La Meguro dans sa version 300 cm3 baptisée sobrement J3 alors que la 350 s'enorgueillissait d'un "REX" dominateur et peut-être légèrement excessif !

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Pas encore de casque obligatoire en 1954 pour le motard japonais (il le sera en 1965), mais déjà un souci de sécurité de la part du constructeur de ces deux Meguro 350  ou 500(à g. et à d.). Leurs nacelles de phare "à la Triumph" s'orne de deux clignotants de direction qui ont leurs homologues à l'arrière. Deux phares de couleur encadrent celui de la moto du milieu qui est peut-être une J3 

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Vers 1955-56 Meguro propose sur certaines de ses machines une partie-cycle modifiée dans sa moitié arrière qui combine une pièce en embouti avec des tubes. Cette transformation s'accompagne d'une suspension arrière qui est désormais de type oscillant à deux éléments séparés..

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La nouvelle 500 Z7 reçoit la partie arrière de cadre en embouti avec un nouveau logo de réservoir qui ne sera pas définitif. La selle suspendue par le bec cèdera devant la plus confortable selle-double, dès que la législation autorisera le transport d'un passager (sauf sur les autoroutes).

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La boîte à vitesses est d'un nouveau dessin (ci-dessous à gauche à comparer avec l'ancien modèle à droite). Le sélecteur à double-branche  sera adopté peu à peu sur toute la production. Il passera ensuite du côté gauche et perdra sa branche arrière.

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AVEC SES 20 CHEVAUX, la Meguro 500 commence à avoir du mal à justifier sa première fière appellation "Rex". Bien accueillie, elle se trouve néanmoins dépassée par les vertical-twins 500 et 600 de Cabton dont la 500 monocylindre de 19 ch équipe déjà, sous une éclatante peinture blanche, la police de Tokyo. Ces twins Cabton (ci-dessous, dernière photo à droite) utilisent la technique de distribution empruntée à Indian, (ci-dessous, au milieu) qui Le Japon explore son passé motocycliste (5)l'avait elle-même "empruntée" à Zündapp, (dessin ci-contre) à savoir des culbuteurs actionnés par des tiges logées derrière et devant les cylindres, d'où deux arbres à cames. Meguro simplifie sa twin en rassemblant les tiges sur un seul arbre à cames, comme sur une machine britannique - au hasard - une BSA... (Je me suis laissé dire, dans une lecture que je ne retrouve pas, que la firme anglaise avait reçu un jour la visite d'un envoyé de Meguro à l'occasion d'un Salon de Londres). 

Grâce à ses 29,5 ch, la Meguro "Senior" de 650 cm3 devient la plus puissante des machines japonaises, devant les Cabton de 28 ch (la 600 cm3) et les 25 ch de la 500. La plus grosse cylindrée de l'époque est la Rikuo 750, bicylindre en V japonaise à fort goût de ketchup dont les soupapes latérales n'expulsent que 22 chevaux. Rikuo tentera de riposter en 1960 avec une 750 modernisée par des soupapes en tête comme chez... Harley-Davidson. Mais cette 750 RX qui annonçait 28 ch arrivait trop tard et resta à l'état de prototype.

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Après une éclipse, la "Senior" reparaît en T2 avec un moteur redessiné mais toujours à deux cylindres verticaux. En 1957, Meguro deviendra fournisseur de la police de Tokyo avec ces 650 twins. L'équipement d'usage, gyrophare, sirène d'alarme, pare-chocs, etc ...

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La sirène actionnée par frottement sur le pneu arrière est bien visible sur la machine à droite.

... est une superbe vitrine pour le constructeur dont certains responsables sont ici photographiés à l'occasion d'une livraison de matériel à la police. Ils posent peut-être à l'entrée de l'usine installée à... Meguro, un faubourg de Tokyo où se trouvait alors un circuit de vitesse (depuis déplacé ailleurs) qui a donné son nom à la marque.

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En livrée blanche, comme l'uniforme de leurs pilotes, ces machines deviendront des "shiro-bai" (motos blanches), devenant synonymes de policiers, comme nos "bleus" en France.

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Un gros plan du moteur d'une 65 Meguro "Police" permet de vérifier la similitude avec le BSA de la A10. La sirène est installée de façon moins folklorique que précédemment...

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Comparé au modèle T1 de 1955, cette T2 présente des différences bien visibles (le silencieux n'est pas d'origine). Son carter de distribution est plus affirmé dans sa forme "en cœur" tandis que le réservoir d'huile a pris du volume englobant l'emplacement du coffre de l'outillage. La boucle arrière du cadre est désormais formée de tubes rectilignes. Le logo du réservoir ainsi que l'inscription sur le carter de distribution sont toujours ceux de Meguro, mais la "patte" de Kawasaki va, à tout point de vue, s'alourdir de plus en plus sur son "associé" qui sera absorbé en 1962.

(À suivre)

AVIS AUX AMATEURS : Il reste quelques exemplaires du livre "Les Motos des Français - Un album de famille 1945-1970". Un chèque de 40 € port compris fera de vous un homme (ou une femme) heureux (heureuse).Tous renseignements complémentaires : janbour@free.fr

Des trois volumes "La Motocyclette en France" déjà publiés, seul celui traitant de la période "1922-1924" est encore disponible. 55 € port compris. Adresse mail idem ci-dessus.

Le Japon explore son passé motocycliste (5)

 

 

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G
Oui, copie carbone d'une partie-cycle de Velopette...mais il y avait des liens entre Veloce et le Japon ...Un japonais a même couru au TT au début des années 30 sur une KTT...<br /> Après, ce serait assez drôle qu'ils soient allés jusqu' à la copie de  la mirifique bague régulée qui fait le charme des touines BSA !!!<br />  
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Z
Comme tu dis, Jacky, pas facile de trouver la doc, surtout que mon japonais est un peu rouillé et comme tout ce qui est intéressant est écrit en vermicelle local... Gogol propose bien une traduction automatique, mais c'est encore moins compréhensible que l'original ! Autre sujet de désolation, le peu d'intérêt que les collectionneurs français portent à ces machines. Peu ou pas importées chez nous il faut passer par l'Angleterre et surtout les États-Unis si l'on veut en savoir plus, voire en acheter une en surmontant le problème de la langue. Je répare ici un oubli concernant l'origine de certains documents dont plusieurs, en particulier ceux sur la police, viennent du site bikeshop246 énorme motociste multimarques qui porte une attention certaine aux Meguro.  
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Z
Vrai que ça fait plus alternateur que sirène.  Mais cette Meguro est déjà badgée Kawasaki dès 1962. mais avant ce modèle et ces copies d'anglaises que nous connaissons, les moteurs de Meguro étaient fort esthétiques .
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J
Heu, heu, la sirène à l'avant du moteur de la Méguro...est un puissant et moderne alternateur de bagnole. Il est d'ailleurs à la place de la souffreteuse dynamo Lucas des A7 A 10. Les Méguro "rigides" d'avant guerre sont marrantes avec leur décalcomanie de partie cycle Velocette (reservoir d'huile et d'essence compris).<br /> Question:<br /> est ce que la Méguro copie carbone de la BSA, utilisait le montage à la noix du vilebrequin sur pallier lisse à droite?<br /> Pas facile de trouver de la doc comme ça!
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A
passionnant, bravo !
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