PRATIQUEMENT INCONNU EN FRANCE, sauf par quelques lecteurs de Charlie Hebdo ou de la Revue de Presse de Willem dans Libération, le dessinateur S. Clay Wilson est mort à 80 ans, au début de février 2021. À vrai dire, je le croyais mort depuis longtemps ! Aux dernières nouvelles, on savait qu'à la suite d'un accident de voiture, une bagarre, une biture trop sévère ou une overdose - on n'a jamais su - on l'avait retrouvé à demi noyé dans un caniveau avec de multiples fractures du crâne et plus que comateux. C'était en 2008 et il ne s'en est jamais remis, condamné au fauteuil roulant et incapable de reprendre un pinceau ou une stylo. En 2010, sa petite amie l'avait épousé et elle a pris soin de lui jusqu'à la fin.
DANS LES ANNÉES 60 les dessinateurs de la presse underground ont mis un grand coup de balai dans les comics américains "classiques". Essentiellement sur le plan artistique, car commercialement ils n'avaient guère d'impact sur les ventes engrangées par ces mastodontes (E.C., Marvel, D.C. Disney, etc). Wilson, lui, a poussé le bouchon encore plus loin, libérant à leur tour certains de ces undergroundeux. À commencer par Crumb qui n'était pourtant pas le dernier dans la déconne. Avec Wilson, les dernières limites furent franchies, ce que reconnurent des pointures de la contre-culture comme Charles Bukowski (Journal d'un vieux dégueulasse) ou William Burroughs (Le festin nu). Plus étonnant, on trouve aussi parmi ses admirateurs un Leonardo di Caprio dont la chambre d'adolescent était pleine de cartons de comics ! Pour l'excellente raison qu'à l'époque, son père en vendait...
LES PERSONNAGES des dessins et peintures de Wilson sont indescriptibles tant ils sont malfaisants et laids - c'est le moins que l'on puisse dire. On peut les répartir en trois grands thèmes : les motards, qui se conduisent pires que des Hell's ; les femmes, du genre que vous ne présenteriez pas à vos parents et amis et un personnage récurrent, le Checkered Demon, tout rouge avec cornes (de démon) et pantalon à damier. C'est lui qui est le 'héros' des premiers dessins de Wilson publiés dans un journal littéraire (!) en 1967. Il réapparait en 1968 dans ZAP Comix 2, sous forme de bande dessinée. D'abord plutôt gentil démon bedonnant, il prend vite sa vitesse de croisière dans un jeu triangulaire avec sa copine Star Eyed Stella que lui dispute Ruby the Dyke ('Dyke' = lesbienne, tendance camionneuse, souvent motarde).
TOUT CE MONDE S'ÉTRIPE JOYEUSEMENT dans des intrigues dont la logique narratrice était le dernier des soucis de Wilson. On l'aura compris, son art c'est l'excès dans l'horreur baignée d'humour noir, avec toutes les turpitudes i(ni)maginables qui font passer Massacre à la tronçonneuse et autres Shining pour des contes de Perrault. C'est ainsi que ses dessins passaient de Playboy à tel obscur fascicule qui n'eut jamais de numéro 2 ,où tel autre titre que les libraires et kiosquiers refusaient de vendre.
Ses œuvres sont aujourd'hui réunies dans des anthologies en anglais (trois volumes à ce jour, à chercher sur le vouèbe) imprimées sur un papier bien meilleur que celui qui les accueillit à l'époque. En France, on ne trouve que le confidentiel Bastard, un mini-pocket d'une trentaine de pages en noir et blanc, réunissant une correspondance entre Wilson et Willem. Pendant plusieurs années, ces deux-là ont échangé des dessins, chacun poursuivant une histoire (complètement braque, bien sûr) là ou l'autre l'avait laissée (Bastard - Futuropolis 1984).