Si le monde des ventes aux enchères est un monde "glauque" comme cause les jeunes couches, il semble que celui des enchères autour de la moto le soit encore plus, glauque. Cependant, de temps en temps, il fait sortir de l'inconnu (enfin, du peu connu) des machines qui, sans la monnaie qu'elles re présentent éventuellement, ne seraient jamais sorties de leur "grange". C'est pourquoi la maison anglaise Bonhams s'offre le Grand Palais parisien pour présenter aux enchères deux à trois cents véhicules à pneumatiques dont quelques motos. En février, deux d'entre elles valaient le détour pour nouzôtres : une Clément demi-française (le moteur est un M.A.G., le changement de vitesse est de chez Enfield), y côtoyait une René Gillet, française à 99 %.
Sans courir les rues, les Clément sont assez connues chez nous, ce qui n'est pas le cas des René Gillet surtout anciennes. Sentant le terrain mouvant pour présenter cette dernière, FMD alias Moto-collection.org m'a chargé de cette mission. Le précédent article sur la Coupe 1906 du M.C.F. m'ayant mis en condition, les photos, catalogues, revues, etc, sur René Gillet étaient encore "en attente de rangement". Je n'avais donc qu'à me baisser pour en extraire "la substantifique moëlle" afin de vous la transmettre.
D'abord une réflexion à propos du prix auquel cette moto s'est vendue : 16 100 €. Certes, c'est une somme, mais finalement assez peu pour une machine plus que centenaire et rare en ventes. Tous les jours vous croisez des machines de ce prix et même bien plus. On en trouve chez tous les constructeurs, depuis la Harley Low Rider jusqu'à la Yamaha FJR 1300 en passant par les BMW, Kawa, Guzzi, etc, cataloguées autour des 16 000 €. Des machines qui, sauf exceptions, ne verront pas leur valeur augmenter au fil des années, au contraire. Alors qu'une René Gillet...
Pour comparaison, voici la machine (ci-dessous) qui se rapproche le plus de la R.G.-Bonhams. Cette photo de 1911 représente Meuriot, chambre à air en sautoir, à son arrivée du Circuit d'Automne de Melun. Le premier en catégorie 500 était Dubost sur une autre René Gillet. La marque remportait aussi la catégorie "illimitée" avec Faÿ sur une 1000 cm3.
Donc "petit prix", relatif j'insiste, sauf que... Aux enchères, l'objet est vendu "en l'état", c'est la règle. Mais ce qu'on ne sait pas s'agissant d'une mécanique, c'est "l'état" de ce qu'il y a dedans. Un moteur non bloqué, c'est déjà un point, mais dans le cas qui nous intéresse, si ce qu'il y a dans le moteur est important, le réservoir l'est encore plus. On voit que les pipes d'admission en tubes flexibles (étanchéifiées au sparadrap ?) sont alimentées par un tube qui remonte dans le réservoir. Celui-ci reçoit l'essence avec, à part vers l'avant l'huile et sa pompe, plus une cavité pour la magnéto. Mais dans sa partie essence, il contient le carburateur spécifique aux René Gillet et à elles seules.
COMMENT ÇA MARCHE
La seule personne qui ait jamais pu répondre à cette question est le regretté Christian Christophe, collaborateur occasionnel de Moto Revue où il signait Ch2. Dans les années 50, il s'était rendu en Allemagne, son pays de naissance, à un rallye de motos anciennes organisé à Neckarsulm, berceau de N.S.U. Il y avait remporté le premier prix au guidon d'une René Gillet de 1907 sortie du bric-à-brac du motoriste et side-cariste Roger Sceaux, en compagnie d'une Indian de la guerre. Bien plus tard, à l'occasion d'un déjeuner chez Pierre Ducloux dans les années 80, j'avais demandé à Ch2 de nous expliquer le fonctionnement de ce fameux carburateur René Gillet. Aussitôt, il
avait pris un papier et un crayon pour dessiner le croquis ci-dessus d'un moteur monocylindre. Comme il avait tendance à nommer les pièces en allemand, lorsque le mot français lui échappait, j'ai pas vraiment tout compris.
UN ANCIEN À LA RESCOUSSE : UN PEU PLUS DE CLARTÉ
Heureusement, j'ai retrouvé dans la revue Motocycles le récit de Paul Niederman qui avait aidé Ch2 à remettre en état la machine. Il avait pris des photos au cours du démontage des pièces, y compris celles constituant le carburateur dont il expliquait le fonctionnement : imaginez un long tunnel à l'intérieur du réservoir avec une extrémité débouchant à l'air libre à côté de la selle. À l'autre extrémité se trouve le conduit qui mène à la soupape d'admission automatique. Côté "air libre", une tulipe en laiton léger repose sur une cuve-boisseau qui se remplit d'une certaine quantité d'essence. Sous l'effet de l'aspiration de la soupape automatique, la tulipe se soulève et un peu d'essence est aspirée, formant une pulvérisation qui pénètre dans le cylindre.
Aucun autre réglage n'est possible, excepté le poids de la tulipe et la tension du ressort qui la maintient en place. Le régime du moteur ne se commande qu'avec le point d'allumage. Cependant, Paul Niederman avouait ne pas comprendre comment était calculée la quantité d'essence de façon précise, mais, ajoutait-il "Il est certain que ce système fonctionne". Même si, par ailleurs "Le ralenti de cette René Gillet laissait non seulement à désirer, mais il était inexistant". J'espère ne pas avoir trahi les explications de l'époque, mais si quelqu'un peut en parler avec plus de précision, le micro lui est ouvert !
La même offre s'adresse à qui va remettre en état cette René Gillet - Bonhams qui, vu son grand âge et son intérêt historique mérite des soins attentifs. Pour se rapprocher de l'état "d'origine", il faudrait aussi trouver de quoi remplacer le support de la magnéto. Le modèle coulé sera à copier (ou à chiner) pour remplacer celui qui est visiblement taillé dans la masse, ce que ne cache pas la photo du catalogue Bonhams (ci-dessous à gauche).
Pour modèle, l'une des photos faites par Paul Niederman (à droite) de la machine qu'il a datée de 1907. Enfin une autre photo, ci-dessous, plus récente (par FAJ, merci à lui) lève toute ambiguité sur le montage bien particulier de cette magnéto. Ce moteur, vu sur une bourse, devrait prochainement trouver sa place dans une machine reconstruite. La magnéto est ici une britannique Ruthardt, marque favorite de René Gillet, mais on sait quil était disposé à construire toute machine selon les goûts du client...
... dans son atelier de la villa Collet dont l'exiguïté apparait grâce à cette photo unique et d'autant plus émouvante (ci-dessous). On ne sait malheureusement rien du cyclecar présent qui n'a rien à voir, évidemment avec la voiture proposée dans le catalogue R.G. de 1907/08. Laquelle n'était qu'un châssis sur roues, sans pneus selon la pratique de l'époque. Aucun détail n'est fourni sur l'origine du moteur qui l'équipait, un 2 ou 4 cylindres fourni par un autre motoriste car il est peu probable que la villa Collet ait permis de construire autre chose qu'une moto dont la finition et la mise au point, selon des témoignages de clients, se faisaient souvent sur le trottoir.
La moto présente des caractéristiques intéressantes, mélange de suppléments (options en français du présent siècle) dont le plus visible est le réservoir rond. L'allumage s'effectue par une magnéto entrainée par chaîne et logée à la place du pédalier. Les pédales fixées sur le cadre servent de repose-pieds. Une disposition générale qui implique un démarrage à la poussette. Enfin, si la courroie plate est de rigueur, le carburateur R.G. est remplacé par un modèle plus classique. Autre troublante modification portant sur la partie-cycle avec ce cadre en simple berceau alors que sur toutes les R.G. de série on trouve un berceau interrompu, le carter-moteur formant entretoise. Sans que ce soit un élément déterminant, le guidon large et bas pourrait compléter une machines très spéciale. Peut-être destinée à la course de vitesse ?
La politique sportive de la maison est pourtant de courir avec des machines quasiment de série. Qu'elles soient pilotées par des proches de Monsieur René (Dubost, Meuriot, Ruby, Bloch) ou des clients anonymes mais passionnés, elles semblent sorties du catalogue. Elles présentent aussi les modifications mécaniques comme le remplacement du carburateur-maison qui est néanmoins resté en option durant plusieurs années. La magnéto dans le réservoir figure ici sur la machine de Bloch (ci-dessus) qui finira 5 ème du G.P. de Fontainebleau en 1913, et aussi sur celle de...
... Claudet (ou Plaudet), 6 ème lors de la même épreuve qu'il courra avec "armes et bagages", y compris la sacoche à outils esseulée en bout de porte-bagages. La fourche est une type Druid supportant un garde-boue du plus pur style "touriste". Le restaurateur d'aujourd'hui aura noté que toutes ces machines exhibent un réservoir nickelé... À noter également le dessin du pédalier en 6 ovales réguliers, marque de fabrique du constructeur qui peut aider à l'identification d'une pièce trouvée en brocante.
RIEN QUE POUR ME FAIRE ENRAGER...
... alors que j'ai commencé cet article en disant que les René Gillet n'encombraient pas le marché, une bonne âme m'envoie ces deux photos pêchées il n'y a guère sur le fameux site Le Bon Coin. Machine assez complète quoique largement modifiée par l'appoint d'une boîte à vitesse. Sauf mise en scène toujours possible, c'est une vraie "sortie de grange" avec ses fétus de paille accrochés aux poignées. Ce qui, au passage permet de détruire une légende selon laquelle René Gillet aurait "inventé" la poignée tournante, entre autres innovations comme le sidecar ou la selle surbaissée...
... la "saignée" que l'on distingue aux extrémités du guidon permet le déplacement d'un ergot se déplaçant dans une rampe hélicoïdale pratiquée dans un tube sur le guidon et protégé par une poignée souvent en corne. Le système servait de coupe-circuit.
Une belle illustration extraite d'un livre pour enfants (Éditions Coq d'or).
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