• Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    C'est un peu comme la boutique du pâtissier, le Pioneer Run. Si on y va trop souvent (en visiteur), on en revient un peu écœuré. Trop de crème fouettée, trop de sucre-glace, trop de Chantilly, trop de brioches ou religieuses, ça vous reste sur l'estomac et pour peu qu'au retour, la vague chahute un peu le ferry... Pourtant, à chaque édition il y a du nouveau à découvrir et admirer. Et bien que la participation française soit faible, six engagés (sur 339 inscrits), on se rattrape avec la qualité du matériel. Oui, 6 participants français seulement, mais les quinze premières machines inscrites sont d'chez nous et ce sont les plus anciennes puisque le départ est donné chronologiquement en commençant à 1896 ! Dans les 4 premières minutes, on aura ainsi vu défiler 4 Léon Bollée, 8 tricycles De Dion ou à moteurs De Dion, 1 tricycle Automoto et enfin deux motos, 1 Clément et 1 Andru ! 

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    La "voiturette" Léon Bollée, ainsi baptisée par son créateur qui ne voulait pas que l'on confonde sa machine avec les tricycles est tout de même bien à ranger parmi les motocycles. Comme ce fut le cas à l'époque où elle "compétitionnait" contre les deux roues et trois roues et non les voitures. Avec, d'ailleurs, un succès certain dû à son excellente conception et à sa confortable cylindrée avoisinant parfois les 800 cm3.

    Depuis déjà pas mal de temps, c'est celle de Dave Pittuck (ci-dessus) qui ouvre le bal du Pioneer avec son numéro 1. Des quatre autres de même origine, c'est elle qui avec son A 302 possède l'immatriculation la plus ancienne soit 1896. Au Pioneer de 1992 je l'avais photographiée sous toutes les coutures car - émotion - c'était la première fois que j'en voyais un exemplaire "en live et en direct", comme disent bêtement ceux qui causent dans le poste ou derrière l'écran. 

    Le Pioneer Run 2016 depuis mon fauteuil

    À Epsom, où avait alors lieu le départ, Dave mettait la dernière main à sa machine, sous l'œil de sa fille fort intéressée. Tellement intéressée que je me demande si ce n'est pas elle que l'on retrouve à Brighton en cette année 2016, menant vigoureusement BS 8151, une autre Léon Bollée ! Ce qui n'a pas échappé à Isabelle Bracquemond que l'on remercie au passage pour sa collaboration... involontaire. Elle nous permet d'ouvrir de façon magistrale le reportage de Gilles Destailleur notre envoyé spécial sur les lieux de l'arrivée. 

    P.S. : On retrouvera près d'une centaine d'autres photos prises par Isabelle Bracquemond sur Facebook (adresse simplement sous ses prénom et nom) 

    Le Pioneer Run 2016 dans mon fauteuil

    Sans trop m'avancer, je dirais que Kate Baldock (selon le programme du Pioneer) ne fait qu'une avec la fille de Dave Pittuck photographiée en 1992 et dotée d'un autre patronyme par mariage. À Brighton, il se disait aussi qu'un Britannique, déjà possesseur de deux Léon Bollée, espérait en acquérir une troisième... La rumeur deviendrait donc une réalité ?

    Le Pioneer Run 2016 depuis mon fauteuil

    Le néophyte s'interroge sur les commandes d'une Léon Bollée dont le maniement est si  spectaculaire qu'il en paraît désordonné. Comme tout l'ensemble de cette machine, Monsieur Léon marquait aussi par là sa différence. À commencer par une direction dont l'axe du petit volant porte un pignon engrénant sur la crémaillère d'un bras articulé qui agit sur une douille verticale montée sur roulements à billes. La roue est fixée à son extrémité. En tournant le volant dans un sens ou dans l'autre, on éloigne ou on rapproche le bras articulé et la roue suit ainsi le mouvement du volant. Autre commande originale, le gros levier vertical à main gauche se déplace sur un secteur cranté et permet d'avancer ou de reculer la roue arrière avec effet d'embrayage-débrayage sur la courroie de transmission que l'on tend ou détend à volonté. La poignée fait pivoter un axe intérieur qui commande trois vitesses par pignons.

    Le Pioneer Run 2016 depuis mon fauteuil

    Dans son ouvrage de 1899 "L'Automobile Théorique et Pratique - Tome 1", Baudry de Saunier consacre près de 40 dessins ou figures au fonctionnement des diverses pièces de la Léon Bollée. On y trouve la description du système d'allumage qui s'effectue au moyen d'un doigt de platine enfoncé dans le cylindre et chauffé au rouge par un brûleur. Ce brûleur est alimenté en essence par la tubulure M qui puise l'essence dans un petit réservoir fixé au dossier, derrière le pilote, sans doute pas mesure de sécurité. Aujourd'hui, ce système très dangereux a été remplacé par un allumage au gaz.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Une troisième Léon Bollée, celle de Philip Bewley est de 1897, mais c'est la plus puissante, déclarée pour 4 HP.  "Ça fait un peu plus, je vous la laisse ?".

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Belle restauration du tri De Dion 1898 mené par Nick Canfor. Pour une utilisation sans problèmes, le carburateur d'origine "à surface" a été court-circuité au profit d'un modèle plus moderne et sans doute moins capricieux.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Pour comparaison, voici la photo du tricycle De Dion complet et dans son jus d'origine qui figure dans les collections (ex-Schlumpf) de la Cité de L'Automobile de Mulhouse. 

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    De loin, ça ressemble à un tri De Dion et ça fonctionne comme un De Dion. De près, rien ne va plus et on s'interroge, déjà sur le nom porté au programme : Dechamps. Une plaque fixé sur le boîtier de piles/batterie pourrait nous éclairer, malheureusement elle ne donne que l'adresse de l'agent de la marque en Grande-Bretagne. Au-dessus figure une mention évoquant des Ateliers à Brussels. C'est donc du belge mais bien ignoré par les historiens du cru. Rien, ce qui est exceptionnel, dans le monumental catalogue des Kupélian. La seule mention de la marque se trouve dans "Le Livre d'Or de l'Automobile et de la Motocyclette", un ouvrage du Royal Moto Union de Liège de 1951 publié en hommage aux cinquante ans d'activité de l'industrie belge. Une page y est consacrée à Dechamp, datant sa production automobile à 1903. Mais pas un mot, dans un texte d'ailleurs très court, sur ses activités antérieures dont pourtant ce tricycle est la preuve vivante.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Ce Dechamp, mené par Edward Crossman présente des particularités dont la plus immédiate est cette "cuillère" arrière solidement fixée au pont arrière. Elle est censée éviter les conséquences d'un cabrage (wheeling, comme on dit en défense de la langue française), dont les tris n'étaient pas avares, dit-on. Cependant, cet accessoire n'est nullement attesté dans la presse de l'époque ou dans les catalogues. Le carter-moteur à plan de joint horizontal fait partie des détails propres à ce Dechamps, de même que la culasse détachable  amputée de quelques ailettes pour laisser le passage à la tubulure d'admission ou encore l'étrier de maintien de la cloche contenant la soupape de cette même admission. Enfin, la partie-cycle montre une simple fourche avant, alors que le cadre est fortement renforcé : entretoise devant le boîte à piles, et doublement des tubes entre pédalier et différentiel. Enfin, deux haubans allant, l'un du pédalier au carter-moteur et l'autre vers le demi-essieu droit solidifient cette triangulation.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Dans cette célèbre épreuve de 1902, on trouve Dechamps (sur Dechamps) à la 10 ème place des "Voitures légères" et une autre Dechamps, menée par P. Rivière est 31ème, sur 33 concurrents classés (Photo extraite du livre édité par le Royal Motor Union).

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Encore un oiseau rare peu connu sous nos cieux alors qu'il est français et signé "Andru" (sans L). Ce mono à soupape automatique était un produit de la maison-mère Aiglon (Emile Debaralle) établie à Argenteuil et qui finira dans le giron de Peugeot. Spécialisé à l'origine dans la pièce détachée pour bicyclettes, Andru annonce renoncer en 1903 à ce commerce pour ne proposer que des bicylettes à sa marque. À son catalogue de cette année 1903 figure également une nouveauté motocycliste présentée seulement en dessin. Cette machine est absolument conforme à la Aiglon n° 1 de 1903, motorisée par un moteur 2 HP Mirus (240 cm3) ci-dessous, moteur également produit par les Ets Debaralle.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

     Extrait du catalogue Aiglon millésimé 1903.

    Le secteur cranté le long du réservoir est destiné à immobiliser le levier de commande du carburateur (absent sur la machine du Pioneer et remplacé par un câble). On sait qu'à l'époque, la carburation étant préalablement réglée, la variation de vitesse ne se faisait qu'en agissant sur l'avance à l'allumage.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Dans le catalogue Andru de 1903, seul un dessin (celui du brevet ?) représente la machine annoncée. Ses caractéristiques sont identiques à celles de la Aiglon de même que le prix de 750 F. En "J" se trouve le levier de commande des gaz sur son secteur cranté. Un entonnoir elliptique capte l'air chaud du cylindre afin de le diriger vers la cuve du carburateur dans le but de combattre un éventuel givrage. En agrandissant l'image du catalogue Aiglon 1903 (cliquer dessus), on aperçoit une petite tubulure qui relie le carburateur et la chambre de la soupape d'échappement, une ingénieuse façon de se passer de l'entonnoir en question. Ce détail n'a pas été conservé sur la Andru du Pioneer.

    Le Pioneer Run 2016 : reportage depuis mon canapé

    Le moteur Mirus à soupape automatique de la Andru était aussi disponible chez Aiglon en version N° 2 à "soupapes commandées" (de nos jours on dit "latérales"). La machine était alors à 825 F. Par ailleurs, le moteur Mirus "latérales" équipait de nombreuses autres marques françaises de moindre renom.

    (À suivre : d'autres merveilles du Pioneer)

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  • Commentaires

    1
    Yves
    Dimanche 3 Avril 2016 à 21:20

    Bonsoir Jean,

    Je ne suis pas d'accord avec le fait que les Belges semblent ignorer leur patrimoine…

    Dans l'ouvrage AZ des motos belges paru en 2009, le Deschamps est cité en page 45.

    Bonne soirée

    Yves

    2
    Bubu29
    Lundi 4 Avril 2016 à 14:18

    Bonjour M Bourdache.

    A propos de Léon Bollée, et déjà signalé dans le blog ami il y a quelques semaines, celui de M Terouanne, est visible en action, dans un petit film de 1923 (à partir de TCR 05:08:00, 02 mn 20 s) mis en ligne sur le site de la Cinémathèque de Bretagne à l’adresse suivante:

    http://www.cinematheque-bretagne.fr/Exploration-Sables-d-Or-les-Pins-970-1389-0-1.html?ref=

    .On y voit bien le maniement du volant et du levier vertical. 

      • Lundi 4 Avril 2016 à 19:04

        Ami bonjour,

        ... et 1000 mercis pour le lien où l'on voit cette Léon Bollée en action presque de 30 ans après sa naissance. On voit aussi des Bollée en action au Pioneer, mais ça n'a pas la même saveur. Cliquez donc sur l'adresse que nous donne Bubu29 pour ces quelques secondes qui appartiennent à l'Histoire !

         

    3
    LAGET
    Lundi 18 Juillet 2016 à 08:10

    Cher Jean Bourdache,

    grâce à d'épatants amis communs, je découvre avec grand, grand plaisir ta fabuleuse saga du deux roues à moteur, avec une fourche avant en acier trempé d'humour, et un moteur marchant à la ferveur, non polluante, participative et contagieuse. Mille mercis, et merci de continuer. C'est beau et ça sent l'huile de ricin de papy, rien de tel pour décaper les dernières cellules grises de nos dernières tempes argentées. J'en connais, qui utilisent encore une moto Waterloo, avec un grognard de derrière les fagots, mais tu les connais aussi, et je crois que tu vas y consacrer une pochade à l'armagnac de chez Trinquier-Trianon...J'espère que ta chienne Griffon va bien...Haut les coeurs, haut le Ventoux avec papa Gasté,

    Serge

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