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Les nombreux enfants de "Rollie" Free
Près de 70 ans après son exploit de septembre 1948, Roland "Rollie" Free fait toujours rêver et suscite régulièrement des imitateurs tant sa position a frappé les imaginations. Ce n'était pourtant pas une nouveauté puisque dans une course à Daytona, avant le guerre, il s'était déjà allongé de la même manière à l'horizontale sur une Indian. Pas de quoi remuer les foules étrangères à l'époque. Et puis l'Amérique c'était si loin ! En 1948, il en allait tout autrement et on avait appris à mieux connaître nos libérateurs. Sur l'Europe commençait alors à s'étendre le mirage américain qui allait nous apporter les "blue jeans", les Camel, le Coca-Cola®, le chewing-gum, les westerns, les McDonald's, les Harley-Davidson des M.P. et les Jeeps qu'on allait retrouver en Indochine puis en Algérie...
PRÉSERVÉE jusqu'à nos jours, la 1000 H.R.D. de Free fait aujourd'hui la fierté de Chip Connor, un "billionaire" qui l'expose volontiers, comme ici dans le cadre du Quail Gathering, un concours d'élégance californien (Photo The Vintagent). À défaut de vous offrir la H.R.D. originale, qui n'est d'ailleurs pas à vendre, le sculpteur Jeff Decker en a réalisé une en bronze de 1 mètre de longueur et qui se vendait 18 000 dollars. Heureusement, Jeff a pensé à nous les nécessiteux et il propose un modèle plus petit (33 cm), et plus abordable à seulement 1000 dollars. Revers de la médaille, à ce prix ce n'est plus un modèle original puisque cette version est réalisée à 100 exemplaires. Dans le commerce de l'art, c'est presque de la grande série...
À Bonneville, Rollie Free himself encore tout habillé prépare un cocktail de sa composition pour alimenter sa machine (photo www.motorcyclemuseum.org). On est prié d'éteindre sa cigarette !
CETTE PHOTO et la suivante dormaient toutes deux dans mon ordinateur sans autre indication qu'une date, 1949, et un nom, celui de René Milhoux. Après enquête, il s'avère qu'elles proviennent des archives d'Yves Campion, gravement atteint de "Gilletite aigüe", mais néanmoins sensible à tout ce qui se passe, ou s'est passé, dans le motocyclisme belge. Car René Milhoux fut l'un des grands pilotes belges dont la carrière a commencé bien avant la guerre (la dernière...). Carrière couronnée de glorieux titres récoltés au guidon de Gillet d'Herstal puis de F.N. (pour les jeunes couches : F.N. c'est Fabrique Nationale, prière de ne pas confondre).
De gauche à droite : Paul Frère avec Delabarre, derrière un René Milhoux qui s'est contenté d'adopter la position de Rollie Free, mais pas sa tenue. Laquelle n'est pas sans évoquer celle d'un certain... Tintin !
Baptisé "le Diable blanc" en référence à sa combinaison en toile immaculée, René Milhoux battra de nombreux records pour le compte des deux marques belges. Par ailleurs, bien que spécialiste des circuits de vitesse, il remportera le Bol d'or 1928, catégorie sides 600, à bord d'un attelage Gillet. Il a terminé 4e au général, pendant que son co-équipier Vroonen (Gillet 500) devenait le vainqueur absolu de l'épreuve.
Dans l'immédiat après-guerre, beaucoup de marques européennes vont se lancer à nouveau dans la chasse aux records. De défi politique (anglo-germano-italien) jusqu'à la fin des années 30, le record en vitesse est désormais devenu un enjeu commercial. Surtout vis-à-vis de l'Amérique du Nord, marché prioritaire pour les Britanniques. En Allemagne, ce sera une preuve du redressement économique du pays (N.S.U.).
Des pilotes individuels sont aussi de la partie, plusieurs Anglais bien sûr, dont certains visent le record de vitesse absolue. Par exemple, Noel Pope avec un 1000 JAP à compresseur qu'il testera à Montlhéry, ou encore Reg Dearden sur 1000 Vincent, également suralimentée. À l'autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, c'est aussi une 1000 Vincent que Russel Wright hissera brièvement (1955) sur la plus haute marche du podium de la vitesse absolue, record pulvérisé par N.S.U. l'année suivante.
Les multiples catégories des records du monde homologués permettent à des pilotes plus réalistes de s'illustrer, tout en apportant une bonne publicité à telle ou telle marque. Paul Frère, qui deviendra le valeureux pilote auto a couru avec succès sur une 125 pour le compte de l'importateur belge des Puch. C'est une "S" (deux carbus) de cette marque que Milhoux pilotait dans une tentative contre le record 125 du mile lancé. Mission réussie lorsqu'il atteint 108 km/h de moyenne sur l'autoroute de Jabbeke, près Bruges, le 15 septembre 1949. Pas mal pour une 125 de 7,5 ch dont la sonorité des échappements en mégaphones devait la faire paraître bien plus "méchante" qu'elle n'était réellement !
L'AUTOROUTE Ingolstadt-Munich a été plusieurs fois le terrain de jeux des recordmen allemands, même dans les cylindrées les plus modestes. Le 12 avril 1951, c'est le Victoria FM 38 (Fahrrad Motoren), un deux-temps de seulement 38 cm3 qui s'y présente dans la catégorie 50 cm3 et sous un habillage en aluminium férocement travaillé par le marteau du chaudronnier. Son pilote est Georg Dotterweich qui a utilisé pleinement la leçon de Rollie Free, complétée de quelques rudiments d'aérodynamisme.
Avec 79 km/h, il détiendra le record mondial de vitesse sur le kilomètre lancé comme sur le mile. Début 1952, il est détrôné de peu par un 50 Cucciolo-Ducati piloté par Tamarozzi qui signait 80,436 sur le kilomètre. Presque en même temps, en Argentine, Vaifro Meo porte ce chiffre à 91,591 km/h. Sa machine, motorisée par un 50 Alpino de l'Écurie Perales, semble avoir été la première de sa cylindrée à utiliser un carénage totalement intégral, incluant le pilote. Celui-ci était enfermé dans un œuf oblong doté d'une dérive et perché très haut dans un léger cadre, "œuf" dans lequel le pilote était agenouillé !
LA NORTON MANX 500 est le choix de nombreux privés dont certains sont capables de faire bien des misères à des "officiels" dotés de machines d'usine. Auguste Goffin est l'un d'eux qui sera champion de Belgique à de multiples reprises. On retrouve aussi son nom parmi les acteurs du Continental Circus pour qui un record est toujours bon à prendre et permet de se signaler à l'attention des organisateurs de courses à travers l'Europe. Auguste Goffin le sait bien et va se tailler une place au tableau des records en 1952 avec sa Norton. Allégée de certains accessoires (son réservoir...) la Manx le propulse à 246,575 sur le km lancé à Wolvertem. Performance réalisée sans carénage et avec un monocylindre sans compresseur. Ce qui est tout à l'honneur de la machine et de son pilote si on la compare à celle de Wilhelm Herz, recordman de vitesse absolue à 290 km/h sur une bicylindre NSU suralimentée, entièrement carénée... et préparée par l'usine.
UN MONSTRE DE PUISSANCE n'est pas absolument indispensable pour s'attaquer à un record. Ainsi, en 1921 une Norton à transmission par courroie et moteur à soupapes latérales atteignait déjà 148,767 km/h. Et longtemps les Harley et Indian, tout aussi latérales, se mesureront avec succès aux twins britanniques techniquement supérieures. Les soupapes "de côté" feront partie de la culture motocycliste (et automobile) américaine durant plusieurs décennies, et ça ne concerne pas que les deux gros constructeurs de motos qu'on connaît. À côté d'eux, avant et après la guerre, sont nés quantités de petites entreprises produisant des scooters, puis des motos de faible cylindrée. À vocation utilitaire, tous se déclinaient aussi en version trois-roues pour le transport de marchandises légères. D'où leurs moteurs à soupapes latérales, économiques, fiables, simples, sans changement de vitesses et s'accommodant d'un embrayage succinct. La marque la plus connue est Mustang (1946-1965) qui est aujourd'hui l'objet d'un véritable culte aux États-Unis.
L'un de ses rivaux fut le californien Powell avec un modèle de 400 cm3 développant 8 ch. Devant les succès sportifs récoltés par Mustang - voir plus loin - il semble que Powell ait voulu se distinguer de son côté sur le terrain des records de vitesse. Ce qui donna naissance à la machine carénée ci-dessus. Joliment mise en valeur, elle ne semble pourtant pas avoir dépassé le stade d'une présentation à la Presse dont il ne reste que cette photo...
Pas de changement de vitesses en 1949 pour le 400 Powell baptisé P-81, une allusion directe au P-80 Shooting Star, le chasseur à réaction de Lockheed. D'après les historiens, le Mustang fut la première moto à utiliser une fourche télescopique. Le Powell n'était sans doute pas loin et n'a pas tardé à profiter de la leçon.
Il existe peu de documents sur le Powell qui eut cependant l'occasion de faire tirer le portrait de son P-81 en compagnie d'une immense vedette de l'époque : Humphrey Bogart ! L'acteur était censé se déplacer ainsi dans l'enceinte des immenses studios de cinéma à Hollywood...
Prochain article : La suite de l'album de famille de Rollie Free.
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